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de la déviation des rayons lumineux par la pesanteur. La science classique admettait que la lumière se propage toujours et partout en ligne droite. En parlant de l’admirable principe d’équivalence qui lui a permis d’établir la théorie de la gravitation, Einstein a calculé que les rayons lumineux doivent être infléchis par la pesanteur exactement comme la trajectoire d’un projectile quelconque.

On sait que les trajectoires des obus sont d’autant plus tendues, d’autant moins différentes de la ligne droite, que la vitesse du projectile est plus grande. Or la lumière, étant donné sa vitesse énorme, doit avoir une trajectoire extrêmement tendue, infiniment peu différente de la ligne droite. C’est pour cela que les observations terrestres n’ont jamais pu mettre en évidence que le trajet de la lumière différât de la ligne droite. Mais Einstein a calculé que la lumière venant d’une étoile et qui rase la masse énorme du soleil doit être déviée par cette masse d’une quantité accessible à l’observation, et qu’il a numériquement indiquée. Cette hardie prévision, si contraire à tous les enseignements classiques, a reçu comme on sait la confirmation expérimentale la plus éclatante lors de l’éclipse totale de soleil du 29 mai 1919, où la photographie des étoiles voisines du soleil éclipsé révéla aux astronomes anglais le phénomène annoncé !

Il résulte de cela, conformément aux formules et aux équations de propagation établies par Einstein [1], que la vitesse de la lumière se trouve légèrement diminuée au voisinage du soleil, et, d’une manière générale, dans le champ de gravitation créé par une masse attirante. Cela ressort d’ailleurs immédiatement et très simplement du fait constaté que le rayon lumineux d’une étoile est incurvé dans le voisinage du soleil, la concavité de la trajectoire étant du côté du soleil. Or il ne peut y avoir déviation, c’est-à-dire changement de direction de la trajectoire lumineuse, que s’il y a changement de vitesse.

Les ondes lumineuses venues de l’étoile et qui se propagent vers nous, sont, — si j’ose employer cette analogie élémentaire, — comparables à une large colonne de soldats s’avançant en rangs serrés et coude à coude. Si les files placées à gauche de la colonne ralentissent le pas et se mettent à marcher moins vite que les files placées à droite, et tout en restant coude à coude avec elles, il est évident et

  1. Le lecteur français que ne rebute pas un appareil mathématique un peu ésotérique trouvera un excellent exposé analytique et technique de la question dans l’ouvrage de M. Jean Becquerel : Le principe de Relativité et la théorie de la Gravitation (Gauthier-Villars, éditeur).