Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/46

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
...NI MOI SANS VOUS


D’eux deux fut-il exactement
Comme du chèvrefeuille était
Qui à la coudre se prenait...
Belle amie, ainsi est de nous :
Ni vous sans moi, ni moi sans vous.
MARIE DE FRANCE : Le lai du chèvrefeuille.


I. — 1867


Renaud Dangennes à Mlle Anne-Marie Cabours


Paris, février 1867.

Tu me quittes. Tu n’es pas au bas de l’escalier. Et je t’écris. Disparue, tu me restes encore, puisque je t’écris, et que je supprime par là ton absence soudaine et mon affolement. Je les retarde d’une heure. Je ne veux pas que mes bras soient déjà vides de toi. Je ne veux pas la mort comme foudroyante de notre toute pure rencontre. Je lui procure le prolongement d’une agonie douce, où l’on savoure encore la vie qui s’échappe. Et je t’écris. Et mes mois te ressaisissent. Les voici qui se répandent. Je les murmure en les écrivant, pour qu’ils se mêlent sur mes lèvres à tes baisers encore flottants, à tes lèvres elles-mêmes. Ah ! bien-aimée, mes mots que tu n’entends plus, joints à tes lèvres qui sont parties !...

Et le premier de tous, le plus anxieux de tous : reviens, reviens ! Je sais que tu reviendras. Je sais le jour. Ta voix et la mienne l’ont prononcé, tour à tour et ensemble. Mais reviens, reviens ! Je te le demande. Tu pourrais l’oublier. Non non, je ne dis pas cela parce que je doute de toi. Je le dis parce que je souffrirais trop, si tu ne venais pas. Je le dis parce que notre