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de surgir à côté d’elle, et tout le terrain déjà perdu sur les marchés de l’univers. Cette situation en elle-même était déjà dangereuse. L’Allemagne l’aggrava par la brutalité de son programme naval. C’est pour y faire contre-poids que l’Angleterre se rapprocha de la France et de la Russie ; elle se tint sur ses gardes et ébaucha l’Entente cordiale.

C’est de cette époque que date le rôle politique de Ballin. Il regardait la guerre comme une lourde faute. « La plus bête des guerres, répétait-il souvent, quand elle fut déclarée : ce n’était pas la peine d’être un Bismarck pour l’empêcher, » Il se serait fait fort de dénouer la crise à l’amiable, lui qui savait si bien « fourrer dans le même bonnet » des crânes d’Allemands, d’Anglo-Saxons et de Français. Mais peut-être qu’il se flattait ; cette fois, le tour de force passait sa virtuosité. Tout au moins fallait-il que d’autres ne se chargeassent pas d’exaspérer le conflit qu’il offrait les moyens d’apaiser.

C’est une lecture pleine d’intérêt, que le récit des efforts accomplis par Ballin à partir de 1908 pour conjurer la guerre. On se rappelle la situation : le Congrès de La Haye venait de finir sans solution. Le programme de Tirpitz mettait le malaise à son comble. Le Cabinet Asquith, qui ne rêvait qu’économies et réformes sociales, se voyait contraint à engager de nouvelles dépenses de dreadnoughts. Là-dessus, dans l’interview du Daily Telegraph, l’Empereur se répandait en plaintes contre l’Angleterre. En revanche, un mot malheureux de M. Winston Churchill, blessait cruellement la vanité allemande. Bref, c’était une succession d’aigreurs et de malentendus qui rendaient tous les jours l’atmosphère plus orageuse.

L’amiral Tirpitz prétend, dans ses Mémoires, que sa flotte n’y est pour rien, et que sans elle l’Angleterre eût attaqué plus tôt. Pour lui, le bon moyen d’avoir la paix avec l’Angleterre, c’était d’être assez fort pour se faire respecter. Plus l’Allemagne a de cuirassés, plus l’Angleterre lui montre de considération. La flotte allemande étant pour lui une garantie de paix, il pressait intrépidement le mouvement de ses constructions. Ce n’était pas l’avis de Ballin, qui connaissait son Angleterre et savait ce qu’est pour elle l’intangibilité de sa suprématie navale. Il savait aussi que l’Angleterre ne voulait pas la guerre, et il s’employa de tout son pouvoir pour arriver à un accord. Rien de plus instructif que ses négociations avec le