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voulait en revanche pour les nourrir les produits des deux hémisphères. Ballin saisit avec génie l’esprit des temps nouveaux, et la transformation qui faisait de la vieille Allemagne une puissance industrielle.

Il mit à son service la flotte de ses désirs. Il observa l’un des premiers que la source de l’émigration se déplairait vers l’Est, et draina au profit de Hambourg l’immense courant slave. Tout le servait, tout lui était occasion favorable. Nul n’était plus habile à exploiter les guerres. C’est dans ces moments-là qu’on lui vit faire ses beaux coups. La Compagnie traînait encore, vers 1895, quelques bâtiments archaïques, dont elle ne savait comment se débarrasser ; la guerre hispano-américaine survint à propos pour Ballin : il vendit très cher à l’Espagne son vieux matériel et employa le bénéfice à la construction de modèles nouveaux. Il réalisa encore de beaux gains pendant la guerre du Transvaal et la campagne de Chine. Mais la plus profitable de ses opérations fut la vente au Gouvernement russe de plusieurs unités de l’escadre Rotjenswensky, qui allèrent s’abimer devant la passe de Tsoushima. Cette année-là la Hamburg-Amerika encaissa un boni de 37 millions.

Il apportait dans ces affaires un incroyable esprit d’audace et de décision, qualités qui presque toujours lui assurèrent le succès. Partout il prenait l’offensive. Ainsi, lors d’un voyage en Chine, pendant le cours de 1901, il notait l’immense avantage que possèdent les Etats-Unis pour le commerce du Pacifique, et il conclut : « Il n’y a pas un moment à perdre pour prendre les devants. » L’expérience l’avait convaincu que le plus fort risque, dans la lutte, beaucoup plus que le plus petit. Cet instinct lui avait dicté une de ses premières et de ses plus belles campagnes. Les Anglais, je l’ai dit, détenaient à Hambourg le monopole de l’émigration. Leur position était très forte, Ballin entreprit de leur montrer qu’elle n’était pas inexpugnable : il fit un mouvement tournant, et attaqua par la Norvège. En deux ans, il avait conquis les ports scandinaves. L’Angleterre alarmée se montra prête à causer ; Ballin avait en mains des éléments de conversation.

Mais à cet esprit d’initiative, qui ne reculait devant rien, se joignait chez le jeune directeur une extrême souplesse à trouver des biais et des accommodements. « On me reproche, disait-il, d’être l’homme des compromis ; on voit bien que ce sont des