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LITTÉRATURES ÉTRANGÈRES

HERR BALLIN [1]

Pendant l’été de 1911, le hasard m’avait conduit à Cherbourg pour une période de manœuvres. C’était la semaine d’Agadir. A cette époque, le paquebot allemand qui faisait le service de New-York relâchait une heure à Cherbourg pour y embarquer des passagers. Celte semaine-là qu’allait-il faire ? Il parut à l’heure ordinaire, avec une imperturbable ponctualité d’horloge. Il stoppa hors de la jetée, trop étroite pour le recevoir. Il faisait un temps admirable, qui rendait plus sensible encore la vague angoisse de nos âmes. Je vois toujours le monstre, calme, sur de lui, dans une gloire de couchant de septembre, redoutable et énigmatique, pareil à un petit nuage qui, dans un ciel serein, peut présager l’orage. Il passa. Mais je ne pus oublier la silhouette de mauvais augure. C’était un paquebot de la Hamburg-Amerika, et, comme il s’éloignait en maître de la mer, j’évoquais en pensée des souvenirs de jeunesse, Hambourg, le port grandiose et l’éclatant Alster, ce lac patricien, parcouru de barques de fête et environné de villas, et l’ambitieuse maison du Damm, où j’avais lu jadis la devise orgueilleuse : « MeinFeld ist die Welt, mon champ est l’univers. »

Or, la Hamburg-Amerika, et cette flotte et l’essor splendide de Hambourg même, tout cela, c’était un homme, l’homme qui s’était fait cette audacieuse devise et avait le droit de la

  1. Bernhard Huldermann, directeur de la Hamburg-Amerika Linie : Albert Ballin, 1 vol. in-8, Berlin, G. Salling édit. 1922. — Cf. Alfred von Tirpitz, Erinnerungen, 1 vol. in-8, Leipzig, K. F. Kœhler édit., 1919.