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DÎNER JAPONAIS

Le maire de Kyoto, M. Taitaro Mabuchi, a eu l’heureuse idée, pour rompre la monotonie des réceptions officielles, d’offrir au Maréchal un dîner japonais.

C’est dans une de ces délicieuses maisons de papier qui s’étagent au pied des hauteurs boisées et regardent comme des visages aux grands yeux ouverts la montagne, sa forêt et les toits des pagodes.

L’intérieur est semblable à tous les autres : même nudité, même netteté méticuleuse, même raffinement dans de simples choses. En entrant, il nous faut nous déchausser pour ne pas souiller les nattes ; il n’y a d’exception que pour le Maréchal. Tous les convives s’accroupissent autour de la pièce sur les coussins, les Japonais et les Japonaises sur leurs talons et nous à la turque. Pour le Maréchal, à la place d’honneur, devant le toconoma, qui est une sorte d’alcôve où pend un kakimono rare, un fauteuil et une table. Il a, à sa droite, par terre, le général Shiki, le commandant de la division de Kyoto, en kimono.

Alors le maître de la maison entre et se prosterne trois fois : « Nous avons humblement fait ce que nous pouvions pour vous honorer ; maintenant vous êtes chez vous et c’est nous qui sommes chez vous. »

Et voici comme des oiseaux des îles, ou peut-être des fées ou des fleurs, une douzaine de petites filles, des geishas, qui entrent apportant devant chaque hôte la petite tablette basse pour la dînette japonaise ; toutes petites, toutes peintes, une tache écarlate sur la seule lèvre inférieure, une coiffure compliquée et laquée : elles ont des robes à grandes fleurs éclatantes avec d’invraisemblables ceintures derrière le dos ; elles glissent, les pointes des pieds fermées ; à chaque pas, on voit au bas de la robe dépasser la chaussette blanche à orteil détaché.

Et elles apportent à chacun d’étonnantes choses dans de petites tasses de laque ou de porcelaine : des brins d’herbe, un peu de soupe de tortue, des tranches roses de poissons crus, grosses comme des dominos, des huîtres extraites de leurs coquilles et lavées à l’eau douce, un tout petit peu de sauce brune, des confiseries en farine de haricot, d’autres choses inconnues, et pour manger tout cela, une paire de baguettes :