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leux jardin impérial du xviie siècle ; la vue s’y prolonge sur la plaine de Kyoto, sur les montagnes qui l’environnent et vers la droite jusqu’à des hauteurs couvertes de neige.

Pour que personne ne puisse modifier les perspectives en déboisant ou en plantant d’autres essences, la Cour a acheté toutes les collines qui composent cet horizon. Rien n’est abandonné au hasard : les pelouses ne sont pas d’herbe, mais de mousses rousses et vertes, choisies et cultivées ; les arbres sont émondés feuille à feuille, aiguille par aiguille pour alléger leur feuillage : pas d’arbres sculptés comme nos hêtres et nos chênes, mais des branches légères, plates, disposées par étages, superposées comme des toits de pagode, l’air et la lumière circulant entre elles ; la couleur des sables est variable et voulue ; les pierres choisies pour leur forme et leurs teintes, les couleurs d’arbres ou de plantes juxtaposées avec un art de peinture : à côté du vert profond des camélias, ces grosses touffes égales d’azalées, semblables, dans ce jour de printemps, à de gros rochers polis recouverts de varech jaune ; ici, une lanterne de pierre ou de bois verte ou rouge ; là, une petite demeure japonaise grise, un pont courbé : on a l’impression d’un paysage pensé, ou plutôt d’un tableau composé d’un pinceau savant ; et cependant tout est si librement traité et avec tant d’amour qu’on ne connaît pas un instant l’agacement de voir martyriser la nature.

Et puis ce furent les divins cimetières épars dans la forêt et quelques-uns des 3 000 temples de Kyoto : le Saujusangendo, le temple des mille Kwannons, pareilles avec leurs bras innombrables à une armée de crabes ou d’insectes d’or ; le Chioin écrasé sous son toit dessiné sur la soie du ciel comme un incompréhensible caractère chinois, le Kitano, le Kinkakuji, chacun recouvert de ces toits splendides, pesants et épais, formés de millions de petits morceaux d’écorce de cèdre, de façon que des mousses vert de gris ou dorées puissent les décorer ; mais surtout un soir de lune pleine, le Kiomizu Dera, le temple échafaudé au-dessus d’un abîme vert et de la ville invisible, près d’une source miraculeuse et bruyante, pendant qu’on entendait seulement le claquement des socques de bois des pèlerins et le son d’une cloche qu’ils agitaient pour appeler les esprits inattentifs dans l’ombre du temple.