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« Quand Lafontaine est venu dire le nom de l’auteur, j’ai cru qu’il allait être obligé de s’en retourner sans pouvoir ouvrir la bouche, tant les applaudissements se prolongeaient, et bien nourris, et de toute la salle. Ma foi, quelque exigeant que je fusse, j’ai été content : et je vous embrasse tous de grand cœur. »


Sur cet accueil triomphal, Eugène Feuillet monte en hâte aux loges des artistes. Il embrasse Rose Chéri qui pleure d’heureuse émotion : « Pourquoi votre frère n’est-il pas ici ? n’est-ce pas malheureux ! Il devrait être à toutes ses premières : le succès est sûr... » Il félicite Lafontaine et Dupuis, mais pour Dupuis il n’oublie pas de l’engager à se rajeunir, Montigny, le directeur, l’y engage beaucoup plus rudement. « Je suis bien sûr, ajoute Eugène, qu’il ne va pas remettre sa perruque ce soir, ce qui m’expose à le voir nu tout à fait. »

Vous pensez qu’Octave a de la chance d’être ainsi renseigné par dépêche et par lettre ? Quelle erreur ! il s’impatiente, il réclame des nouvelles télégraphiques, car le 8 au matin, il n’avait encore rien reçu. Eugène en sourit, et le 9 il écrit à nouveau pour raconter la deuxième représentation à laquelle assistaient l’Empereur et l’Impératrice :

« Es-tu content enfin ? — Si tu ne l’es pas, tu ne le seras jamais. Je t’ai dit que la deuxième avait encore mieux marché que la première. C’est en vérité vrai. — Et j’attribue cela à ce que Dupuis avait consenti à laisser de côté sa perruque, malgré tout son amour pour elle. De sorte que son âge, se trouvant mieux en rapport avec celui de Lafontaine, tout en devenait plus vraisemblable. D’ailleurs, l’émotion de la première avait disparu chez eux comme chez moi. Rose Chéri avait aussi abandonné son petit chapeau : elle le tenait à la main. Cela faisait évidemment mieux. J’ai dit à Dupuis qu’il aurait dû aussi porter sa perruque à la main comme ceci, au bout d’un ruban rose. Mais, non ! il veut te l’envoyer, pour que tu juges : pour que tu lui dises qu’il avait raison, qu’il est le seul qui ait eu raison. — Possible : mais puisque tous les autres, femme, mari, enfants sont encore jeunes et peut-être plus qu’il ne le faudrait, il ne faut pas que lui seul soit un vieillard. — Vieillard ! mais je prétends, dit-il, que je n’ai pas plus de 38 ans avec ma perruque ! — Enfin, il y tient, que c’en devient comique, et que nous en avons bien ri hier au soir, après la pièce, et avec lui.