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ardente de la Marseillaise ; puis le Kimigayo, l’hymne japonais, si religieux qu’il semblait une prière du matin ; ensuite, de toutes parts, le canon : le croiseur français, pour saluer la terre ; la terre lointaine, pour lui répondre ; enfin le Kongo, le croiseur japonais venu comme escorte.

Puis le Kongo en tête et le Montcalm à sa suite, tous deux presque pareils, mirent le cap sur Yokohama : leur marche était si lente qu’ils laissaient après eux, sur l’eau, à peine quelques rides ; à la poupe du vaisseau japonais, le pavillon de guerre ressemblait à un chrysanthème échevelé.


L’ACCUEIL DE TOKYO

Lorsque la mission du Maréchal quitta la gare centrale de Tokyo, dans les autos rouges de la Cour, elle cherchait en vain à découvrir la ville : elle n’avait devant elle, au loin, qu’une sorte d’immense baraquement gris, sous un ciel étrangement sillonné de fils aériens : pas de drapeaux, pas d’arcs de triomphe : aucun des aspects auxquels elle était accoutumée.

Mais tout de suite elle fut attirée par un spectacle nouveau et plus émouvant ; à droite, à gauche, à perte de vue, alignés comme une double muraille, étages par taille, dans un ordre quasi militaire, serrés, tous les enfants de Tokyo criant à pleine voix le joyeux salut japonais : « Banzai ! Banzai ! » ce qui veut dire « Longue vie. »

Oh ! la touchante idée ! Pour saluer le grand Français, Tokyo s’était paré de toute son enfance rieuse. Ils formaient ainsi sur le passage des dizaines de milliers de drapeaux vivants : car ils agitaient tous de petits drapeaux de papier aux couleurs japonaises et françaises : les tout petits habillés comme de petites femmes, dans des kimonos ouatés, rouges, bleus, verts ; les filles inclinées au passage du cortège, ou sortant leurs jolis bras nus hors des manches frileuses pour applaudir, les garçons en kimonos gris et casquettes à visière, tous juchés sur leurs socques de bois… « Banzai ! Banzai ! »

Longtemps le cortège traversa l’énorme ville monotone, accompagné de ces saluts joyeux, entre ces deux haies vivantes : et il semblait qu’en proposant ainsi aux premiers regards des Français le nombre incalculable de ses enfants, le Japon voulût leur faire comprendre, dès l’abord, ses préoccupations d’avenir.