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fatiguée, si fatiguée que cela te sera bien indifférent... Car, d’ailleurs, tout ce que je t’écris, ne sera déjà plus, mais plus du tout à la mode...


LE CERISIER DOUBLE DE BAGATELLE

Je l’ai vu par hasard dans sa splendeur. On n’a pas toujours cette chance de rencontrer les êtres ou les choses à leur moment d’apogée, au plus beau de leur grâce ou de leur génie... Or, c’est ainsi que je le vis, par un jour d’avril froid et gris-perle, où le soleil, par moments brefs, nous jetait un rayon trop vif dans l’œil, mais ne daignait pas nous réchauffer.

Lui, le cerisier tout en fleurs et comme indifférent au chaud, au froid, au vent ou à la clarté, tout blotti dans une sorte de fourrure florale et rose, jaillissait, absolu, merveilleux, intact, pour faire croire au printemps, ainsi qu’un frais miracle, une immobile féerie, l’apparition d’une prière.

Tout en fleurs ! tout en fleurs ! tout en fleurs ! pas une feuille ne rompant par sa verdure la délicatesse de cette aube teintée d’aurore ; tout en fleurs, corolles sur corolles, pas une place où se puisse apercevoir la branche, non seulement le brun de l’écorce, mais la structure du rameau ; tout en fleurs comme une neige rose de paradis, mollement suspendue entre ciel et terre ; tout en fleurs comme la forme visible d’une âme que l’adolescence épanouit.

Tout en fleurs, ô beau cerisier ! Tout en joie, tout en promesses, tout en splendeur, tout en angélique illusion ; tout rose, cher arbre innocent, de volupté candide et de jeunesse parfaite.

O toi qui me fais un tel don, celui de ta beauté d’un jour et de ton souvenir durable, je m’en veux de ne pouvoir rien pour toi. Et pourtant, c’est si tendrement que je te contemple et que je te remercie d’être aussi pur !

Les promeneurs indifférents passent près de ta royauté, te regardent avec distraction, s’en vont et pensent à autre chose ; seuls les enfants, de bas en haut, t’admirent et te parlent dans ce rêve secret où, en eux-mêmes, ils jouent et méditent.

Et aussi ce vieux jardinier, qui fauchait la pelouse et oublieux de l’âge, appuyé sur sa faux, pour mieux te contempler, interrompant son travail, a pour toi les mêmes yeux que