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IMPRESSIONS ET FANTAISIES


LE JOUR DE VENT

Le vent galope, irrésistible, dans la bonne rue de Rivoli ; il joue à colin-maillard autour des arcades, il décoiffe les femmes mécontentes et ravit aux vieilles dames leur dignité ; le vent fait le diable, le vent est fou ; il s’acharne sur ce bourgeois paisible, qui marche, rageur, col levé, tête baissée ; il feuillette les livres du libraire, et parcourt indiscrètement les revues ; il ternit les vitres des devantures comme un gros joufflu qui s’ennuie ; il gambade au bras de cet esprit qui, comme vous le savez, à Paris, court quelquefois les rues ; il égrène les derniers mimosas, il effeuille les roses de Nice et veut prendre les œillets pour jouer au volant ; et les grosses marchandes qui poussent avec sollicitude les petites voitures pleines de fleurs, comme les nurses celles des enfants en bourgeons, les grosses marchandes inquiètes cherchent un abri dans des coins favorables, et renoncent presque à la vente : ces passants trop époussetés n’auront plus de tentations... Il semble que tout soit prêt à se disperser sous ce grand souffle, choses et gens ; le désir s’enfle de cet air libre, vif et tumultueux, et nous contemplons tout d’un cœur plein de souhaits de voyages, comme au bord des mers, sur une plage tourmentée par l’équinoxe, on tend les bras vers la voile ou la fumée des bateaux. Le vent s’amuse dans les Tuileries, enfant d’autant plus terrible qu’il est invisible ; les statues même ont froid et sont effarouchées, les bancs ne semblent plus très surs de leur immobilité et le petit Arc de Triomphe du Carrousel, rose de pudeur, a subitement l’air de montrer ses jambes.

Le Louvre rébarbatif lui dit, au vent fou : « Tu n’entreras