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pas qu’il rencontre encore au boulevard l’acteur Lafontaine : « Je vous en supplie, encore deux billets. — Je n’en ai plus. — Je n’ai donc plus qu’à mourir. — Ce n’est pas le moment... » L’acteur esquisse un geste de désespoir et disparaît. Eugène, enfin, s’en va diner, fait sa barbe, cire ses souliers, achète des gants neufs et va, explique-t-il, « jusqu’à la cravate blanche. » Au dernier acte de la Crise, les deux enfants de Mme de Marsan se précipitent chez leur mère avec des bouquets pour lui souhaiter sa fête. Eugène a cette jolie idée d’acheter des fleurs naturelles pour remplacer les fausses fleurs du régisseur et pour les offrir à Rose Chéri par ces gracieux intermédiaires. Oui, mais si les moutards, habitués à répéter avec des bouquets artificiels très légers, se trouvaient gênés par des bouquets nouveaux et plus lourds : surtout en présence du public qu’ils n’ont encore jamais affronté ! Cette perspective le glace d’effroi et il ajourne son ingénieux projet. Il n’a plus qu’à entrer à la Comédie-Française :


« Enfin, me voici dans la salle. On joue le Petit-Fils au milieu de cette indifférence publique que tu as pu remarquer tous les jours de première représentation. Plus indifférent encore que qui que ce soit à cette vieillerie (bon repoussoir d’ailleurs), je monte chez Dupuis : je le trouve tout nu, avec une perruque pour tout vêtement, — perruque blonde comme ses cheveux, — mais avec des cheveux plus rares que les siens : je trouve même qu’ils sont un peu trop maigres, et que ça le vieillit trop, — enfin, nous allons voir. J’entre dans la loge de Lafontaine. Je le trouve en chemise avec ses bottes, — belles bottes ! Inquiet des moutards exposés ainsi au public, et auxquels on a conservé toute leur petite tirade, je venais recommander à Lafontaine de ne pas les perdre de vue un instant, de les soutenir au besoin, et de remplacer s’il le fallait leurs deux lignes par les quelques mots que tu m’avais envoyés pour lui. « Soyez tranquille, je vais y veiller. Mais prévenez Montigny. » J’y vais. Avant de sortir, je le regarde bien : joli homme ! Distingué tout à fait. Mais il n’a rien changé à sa figure. Il a laissé pousser ses favoris, voilà tout.

« Je rencontre Montigny dans les couloirs. Êtes-vous sûr des enfants ? — Mais oui. Je suis sûr de tout. — Bon ! Tout va bien alors. Et je regrimpe à ma loge.