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il ne leur convenait nullement que Constantinople, le port et les Détroits devinssent, de droit ou de fait, la possession exclusive d’une grande Puissance européenne, ou même d’une petite. Et l’inquiétude devait bientôt s’étendre à d’autres sphères, qu’on avait jusque-là tenues pour indifférentes aux vicissitudes du problème oriental, et qui, au contraire, les suivaient très attentivement.


LES ÉTATS-UNIS ET LE JAPON

Au plus fort de la crise, un financier britannique, qui occupe à Constantinople une situation considérable, tint à un Français les propos suivants, dont je ne garantis point l’authenticité littérale, mais dont je puis certifier, quant au fond, la rigoureuse exactitude : « Il faut résoudre sans plus tarder la question de Constantinople. Résolvons-la à trois, ou à deux ; sinon, nous la résoudrons tout seuls. » Ces paroles revinrent aux oreilles d’un haut fonctionnaire américain, qui les jugea singulières. Elles furent aussi rapportées au représentant du Japon, qu’elles parurent amuser fort. « A trois ? à deux ? tout seuls ? disait lentement le Japonais. Mais ce Monsieur ne sait pas compter. Nous sommes plus nombreux que cela à Constantinople. La question dont il s’agit, et quelques autres encore, ne se régleront pas sans nous, — j’entends sans nous tous. »

Lorsqu’on mars 1915, la France et l’Angleterre avaient formellement reconnu les prétentions russes sur Constantinople, les Etats-Unis, n’étant pas dans le jeu, n’avaient rien dit ; le Japon marqua un peu de mauvaise humeur, et beaucoup plus de scepticisme. Deux ans après, en signant avec l’Allemagne le traité de Brest-Litovsk, la Russie libérait elle-même ses anciens alliés de ce coûteux engagement. Dès que l’Amérique fut entrée dans la guerre, M. Wilson remit sur le tapis la question de Constantinople. Il l’envisageait, il est vrai, sous un aspect religieux et, pourrait-on dire, sentimental : les Turcs, massacreurs de chrétiens, devaient être expulsés de l’Europe. Quant à savoir qui l’on mettrait à leur place, la question n’était même point posée. Cependant M. Wilson était dans son rôle et l’opinion américaine n’eût point excusé son silence en cette matière. Il y aura bientôt soixante ans que les premiers missionnaires venus d’Amérique se sont installés on Turquie d’Asie ; ils limitèrent