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s’y est pris avec la Censure, on n’a emprunté à Janin que deux ou trois mots choisis. Tu comprends avec quelle impatience j’attendais le résultat de la démarche de Montigny : je craignais particulièrement que les ciseaux n’eussent attaqué le fond même du sujet de la pièce. — J’en ai été quitte pour la peur, et dans les deux heures que j’ai passées dans le cabinet de Montigny, j’ai pu me convaincre, me bien convaincre qu’il n’y avait pas grand mal, et que relativement, les coupures faites dans la Crise sont peut-être moins importantes que celles qu’on avait faites dans Pour et Contre. — L’exécution capitale de la Censure est celle-ci : elle ne veut pas que la Crise demeure aussi généralisée qu’elle l’a été par toi, — c’est-à-dire qu’au lieu de dire : Toutes les femmes, même les plus honnêtes, sont atteintes de ce mal moral, et ne peuvent se résigner à mourir sans avoir donné un coup de dent, etc.. elle veut qu’on dise : il y a des femmes qui, etc.. Je ne cherche pas à reproduire les mots mêmes, mais seulement à te faire comprendre l’affaire. — La comprends-tu ? — Tu vois alors que le sujet de la pièce n’en reste pas moins entier et qu’il n’y a pas grand mal. Les deux mots qu’il a fallu changer pour opérer cette modification ont été très intelligemment trouvés par Montigny, et l’on n’y verra rien ! Pour le reste, ce sont de petites coupures presque insignifiantes, que nous regretterons nous autres qui connaissons les mots supprimés, mais dont le public ne s’apercevra pas. »


Enfin le 7 mars, la Crise est jouée et Eugène télégraphie le lendemain : « Lauriers pour toi, vœux comblés, succès complet, applaudissements vigoureux, pas un instant de faiblesse, rires et larmes, triples salves, mille tonnerres. Rose adorable, Mars et Dorval les autres parfaits, la presse satisfaite, soixante, au moins, je vais t’écrire, Feuillet. » Il ne ménage pas les mots, malgré le prix qu’ils coûtaient alors, et c’est déjà un compte rendu de la soirée où personne n’est oublié, ni les acteurs, ni le public, ni la recette, ni surtout l’auteur. Mais la lettre qui suit est la plus jolie soirée parisienne qu’on puisse imaginer. Elle commence par une distribution savante des billets de faveur : il ne faut oublier personne, ni les personnages influents, ni les amis qui se chargeront volontairement de la claque. Dumas fils est pourvu, et Ernest Reyer et Mme Beaude dont le mari est ministrable. Quand il ne lui en reste plus un seul, ne faut-il