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partielles, que de dépenses superflues, que d’efforts stériles dans la courte histoire de notre politique syrienne !

La formule du « royaume arabe, » que les Anglais prétendent appliquer à l’Irak, ne répond ni à la constitution ethnique du pays, ni aux mœurs des habitants, ni à l’état présent de leur civilisation. Peut-être verrons-nous la politique anglaise, qui s’inspire moins de la logique que de l’expérience, modifier peu à peu ses méthodes et les accommoder insensiblement aux nécessités locales. Encore faudrait-il que le corps vivant, remuant, anarchique qu’elle a entrepris d’organiser se prêtât patiemment à cette expérimentation prolongée. L’œuvre de quelques « Marocains » en Syrie fut aussi déraisonnable et aussi néfaste que celle des « Indiens » en Mésopotamie ; elle procédait d’une même fausse analogie, disons le mot : d’une même confusion. Cependant la faute des agents d’exécution, anglais ou français, nous parait moins lourde, et leur responsabilité moins entière, que celles des Gouvernements, qui ont entrepris de démembrer un immense empire asiatique, sans même savoir par quelle organisation ils remplaceraient celle dont ils décrétaient la fin. Et toutes les difficultés, toutes les impossibilités ne nous sont pas encore apparues ; nous n’avons encore expérimenté ni le Kurdistan autonome, ni l’Arménie indépendante. Mais ce que nous voyons déjà donne à réfléchir.

Quelques mois après la signature du Traité de Sèvres, un Français qui ne s’occupe point de politique, mais dont le nom fait autorité dans toutes les matières relatives à l’Islam et à la vie des peuples musulmans, M. Edouard Montet, professeur de langues orientales à l’Université de Strasbourg, écrivait : « Le Traité ne tranche pas la question d’Orient, il lui donne un ébranlement redoutable. En formulant ce jugement, nous ne nous érigeons pas en prophète, mais nous avons conscience de parler en connaissance exacte de l’Islam. Aucun partage de l’Empire turc ne parait satisfaisant ; aucun ne semble échapper aux critiques les mieux fondées. Les essais, qui ont été tentés jusqu’à présent, dans cet Empire, de délimitations d’influences et de séparations de souverainetés, ont été désastreux. Aussi la pire solution est-elle de dépecer la Turquie en divers morceaux attribués à des mandataires variés des Puissances alliées [1]. »

  1. E. Montet, l’Islam ; Paris, 1921, p. 125.