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Ce qui pourrait arriver de mieux, c’est que la France et l’Angleterre fissent l’opération d’un commun accord. »

Je reconnus aisément dans ce langage l’état d’esprit qui avait inspiré, de la part des Anglais, d’abord l’arrangement de 1916, puis les accords révisant cet arrangement, enfin le Traité de Sèvres et jusqu’à la convention du 23 décembre 1920. C’est encore ce même état d’esprit qui, en février 1921, devait amener nos alliés à soutenir la résistance des Grecs et à faire échouer du même coup une tentative de médiation qui s’engageait sous des auspices très favorables. Après l’échec de la première offensive hellénique en Anatolie, on vit les autorités anglaises de Constantinople modifier légèrement leur attitude et accepter comme un fait accompli le rapprochement survenu entre Constantinople et Angora, qui ne devait d’ailleurs pas être maintenu longtemps. Un ancien ministre turc me disait alors : « Le jour où les Anglais auront compris que les Hellènes ne peuvent leur servir à rien, ils les lâcheront carrément pour marcher avec nous. Vous verrez qu’ils auront accompli leur conversion et renoué avec l’Empire ottoman des relations politiques et économiques cordiales et étroites, avant que vous n’ayez vous-mêmes pris une décision. » Cet homme n’exagérait que fort peu.

Bientôt les Anglais ne pensèrent plus qu’à préparer la deuxième expédition grecque contre Angora, à en assurer le succès, peut-être même à favoriser une entreprise éventuelle des Hellènes sur Constantinople. Et ce furent les grandes opérations de police, les intrigues ourdies en vue de substituer au cabinet de conciliation présidé par Tevfik un ministère intransigeant et hostile à Angora, puis la prise de possession par le général Harington de toutes les forces interalliées, l’affaire du Grand Complot et l’imposante démonstration navale du 10 septembre à l’entrée du Bosphore. A cette politique militaire et policière correspondait une politique financière appropriée. Sous prétexte d’assurer l’ordre public ou la sécurité des Alliés, on imposait à la Turquie, c’est-à-dire à Constantinople, des charges qu’elle ne pouvait pas supporter : après quoi l’on déclarait que l’Etat ottoman était acculé à la faillite et qu’un contrôle direct de tout son avoir, de toutes ses ressources, par les Puissances occupantes, était devenu indispensable.

On saisit ici la différence essentielle entre le point de vue