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Que reste-t-il aujourd’hui de toute cette propagande ? La haine de l’Allemand, peut-être ; mais la haine du Russe, certainement non. Dès qu’ils en ont eu l’occasion, les Turcs d’Angora ont signé un traité de paix avec le gouvernement de Moscou, et ceux de Constantinople ont en grande majorité approuvé cet accord, bien qu’il privât l’Empire d’une de ses provinces les plus riches et d’un de ses ports essentiels : la province et le port de Batoum. Lorsque les Russes eurent envahi la Géorgie et l’Arménie et qu’ils semblèrent menacer la montagne de Kars, les Alliés, à Constantinople, se mirent à chapitrer les Turcs : le bolchévisme allait les envahir, ils n’avaient que le temps de dresser une barrière entre eux et les armées rouges, s’ils voulaient interdire à leurs ennemis traditionnels l’accès de la plaine d’Anatolie. Les Turcs hochaient la tête, d’un air d’indifférence et de doute ; ou bien ils répondaient : « Le bolchévisme est plus dangereux pour vous que pour nous. Combattez chez vous les efforts de sa propagande ; mais permettez-nous de ne pas entrer en lutte, sur notre territoire, avec ses armées. Pour nous, les Bolchévistes, ce sont les Russes, et nous désirons vivre en paix avec tout le monde, même avec eux. Nous ne pouvons plus, nous ne voulons plus nous battre, ni pour nous, ni surtout pour les autres. »

Mais les Russes répondront-ils demain, répondent-ils même aujourd’hui à ces sentiments pacifiques de leurs nouveaux alliés par des sentiments analogues ? L’accord de Moscou leur a rendu une partie des territoires dont le traité de Brest-Litovsk les avait dépouillés au profit des Turcs. S’en contenteront-ils ? L’actuelle invasion de Constantinople par les réfugiés de Russie n’a que la valeur d’un symbole, mais ce symbole lui-même est menaçant. Sous quelque forme que ressuscite l’empire des Tsars, il restera pour la Turquie faible et dépeuplée un voisin terriblement dangereux. Les révolutions les plus profondes ne peuvent rien changer ni aux réalités géographiques, ni aux aspirations traditionnelles, à la fois nationales et religieuses, qui poussent le peuple russe vers les plateaux d’Arménie, vers l’autre rive de la Mer-Noire, vers Constantinople.


LE DESSEIN DE L’ANGLETERRE

Il est assez naturel que l’Angleterre se soit laissé tenter par les circonstances et ait voulu profiter d’un moment où l’Allemagne