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consulat neutre ou ami, et dont la seule mission est d’occuper la place, jusqu’au jour où l’Allemagne officielle pourra venir la prendre. J’ai entendu souvent parler allemand à Péra, j’y ai trouvé des journaux allemands, autant que j’ai voulu et peut-être davantage ; et je me demandais parfois ce qu’il en serait, lorsque les Allemands pourront travailler à Constantinople sans se cacher


LES ASPIRATIONS RUSSES

« Les Turcs ne sont pas assez, et nous sommes trop, » c’était aussi le grand argument des Russes. A les en croire, toutes leurs entreprises asiatiques étaient justifiées par le principe des vases communicants : la Russie trop pleine devait fatalement déborder sur l’Asie turque, dont la population, déjà naturellement clairsemée, se raréfiait encore chaque jour, du fait des guerres, des déportations et des massacres. Lorsque l’Empire ottoman se fut rangé du côté des Empires centraux, le premier soin de M. Sazonof fut de faire attribuer à la Russie par les Alliés, d’abord Constantinople, puis le Kurdistan et quatre des vilayets orientaux (Van, Bitlis, Erzeroum et Trébizonde). L’empire des Tsars s’écroule, la Russie conclut avec l’Allemagne une paix séparée. Cela n’empêche pas M. Sazonof, le prince Lvof et M. Maklakof de présenter à la Conférence de la Paix, au nom d’un gouvernement russe problématique, une liste de revendications qui n’est pas beaucoup moins longue que celle de 1915 : la Russie demanderait à administrer les Détroits comme mandataire de la Société des Nations, à occuper dans la Mer-Noire une place correspondante au rôle qui lui appartient, à participer à l’administration de la ville et au contrôle du port de Constantinople (mémoire du 5 juillet 1919).

Mais les Russes d’ancien régime n’étaient vraiment que des retardataires, au regard des nouveaux commissaires du peuple. En juillet 191 9, il y avait longtemps que Lénine et Tchitchérine avaient repris à leur compte le testament de Pierre le Grand : « approcher le plus possible de Constantinople et des Indes : celui qui régnera dans ces régions sera le véritable souverain du monde. » Poussés par la force d’une longue tradition, en même temps que par le désir de porter une atteinte sensible à leurs ennemis d’Occident : la France et l’Angleterre, les Soviets