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diplomates et aux financiers. En même temps, on remettra de l’ordre dans cette vieille administration, dont les Occidentaux exploitent tour à tour la corruption et la routine, et l’on dirigera les énergies turques dans le sens du progrès matériel et technique : c’est affaire aux fonctionnaires prussiens et aux professeurs d’écoles réales. Mais les Turcs n’ont pour eux ni la valeur ni le nombre : après s’être servie d’eux pour débarrasser largement le terrain des divers éléments chrétiens, l’Allemagne n’aura pas grand’peine à se substituer à eux dans l’occupation et dans l’exploitation du vaste domaine asiatique, dont elle tirera tout ensemble des bénéfices économiques et des avantages politiques : la richesse et la puissance, ces deux objets de son éternelle convoitise,

L’Allemagne a été vaincue, mais elle n’a pas abandonné ses projets. Aujourd’hui, comme il y a dix ans, on discute à Berlin la question de savoir s’il faut considérer la Turquie d’Asie comme un « terrain d’émigration, » ou comme un « champ d’expansion commerciale ; » on hésite sur la sauce à laquelle il convient de manger la Turquie ; mais sur la nécessité de la manger, tout le monde est d’accord. Et les théologiens de la politique allemande justifient l’entreprise, à l’aide du fameux principe, que seuls ont le droit de posséder un pays ceux qui sont en mesure de l’exploiter : or les Allemands sont trop nombreux, et les Turcs ne le sont pas assez ; les Allemands ont toutes les techniques, et les Turcs n’en ont aucune. Il n’est que d’invoquer l’Evangile et d’appliquer une fois de plus la parabole des talents aux convenances particulières du peuple allemand.

Cependant les agents de l’Allemagne observent et agissent au Caucase et en Anatolie : on les trouve à Bakou, à Tiflis, à Batoum, à Trébizonde et à Angora. S’ils ne sont pas officiellement à Constantinople, c’est que les Alliés en interdisent l’accès aux ressortissants allemands, autrichiens et hongrois. Mais toutes les polices sont impuissantes contre un effort de pénétration aussi subtil, aussi patient, aussi opiniâtre. De même que les marchandises allemandes arrivent tranquillement à Galata, sous pavillon et connaissement suédois, pour être ensuite réparties dans tout l’Orient, quelquefois même par les soins d’agents français, ainsi l’on rencontre dans Péra des représentants de commerce, des financiers de second ordre, de petits hommes d’affaires, qui, juridiquement, ressortissent à tel