Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/370

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la domination turque venait également à s’écrouler, l’on ne pourrait espérer ni des Arabes, ni des Kurdes, ni des Arméniens une force politique créatrice du même genre. Il en résulterait un chaos, une anarchie, dont tous nos intérêts auraient à souffrir [1]. »

Avant de décider la « liquidation » de l’Empire ottoman, on fera bien de s’entendre sur la façon de le remplacer, soit en Europe, soit en Asie. Un examen sommaire des systèmes et des Intérêts en présence fera peut-être apparaître la difficulté de la question et son importance.


LE POINT DE VUE DE L’ALLEMAGNE

Au début de mon séjour à Constantinople, rencontrant X... bey, qui avait été ministre avant la guerre dans le cabinet Kiamil, je lui marquai mon étonnement de retrouver une Turquie si différente de celle que j’avais connue autrefois. Il me répondit :

— Pour comprendre les changements survenus dans notre pays, il faut remonter à quelques dizaines d’années en arrière. Longtemps la politique turque avait oscillé entre l’Angleterre et la Russie. Le jour vint où le jeune Guillaume II, rompant avec les principes de Bismarck, voulut faire une politique mondiale et, par conséquent, une politique orientale. L’Allemagne se présentait en Turquie sous les espèces sympathiques de la puissance désintéressée : elle n’avait pas d’ambitions territoriales dans le Levant, elle n’y possédait pas non plus de grands intérêts économiques : elle n’aspirait donc point à contrôler, sous aucune forme, le gouvernement de l’Empire. Autant de raisons pour plaire au sultan Abdul-Hamid, qui voulait être maître chez lui et s’était institué le gardien jaloux de l’indépendance de la Turquie. Ce qui était encore bien fait pour rassurer le Sultan et le mettre en confiance, c’étaient la tradition monarchique, l’esprit d’ordre et de discipline, dont les Allemands faisaient partout étalage, et qui contrastaient avec les idées démocratiques et libérales si fort en honneur chez les autres peuples de l’Occident. Abdul-Hamid fit tout de suite grand accueil aux Allemands.

  1. Deutsche Weltpolitik und kein Krieg. Berlin, 1912, p. 68. — Ce tract anonyme fut qualifié d’officieux par Maximilien Harden.