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se développa outre mesure : ce n’étaient plus des représentations qu’elle donnait, c’étaient des séances : en scène, ses mots et ses répliques étaient tous pour le public : l’interlocuteur ne comptait point. »

Nous avons connu aussi ces collaborations impertinentes, surtout avec les morts qui ne peuvent protester. Cependant Monselet, à la fin du portrait, ajoute des sourires et des grâces et se confond en politesses et salutations. Rose Chéri, elle, avait plus de naturel et moins de façons et d’artifices. C’était une enfant de la balle. Toute petite, elle avait joué à Bourges dans une troupe de famille, de deux familles, la famille Garcin et la famille Chéri. Car son nom de conte de fées était son nom véritable. Elle était une ingénue touchante qui, entrée par la petite porte au Gymnase, y prit bientôt la première place avant qu’elle n’en séduisît le directeur qui l’épousa. Celle-là se donnait à ses rôles. Elle en interpréta de très variés, tour à tour jeune fille, amante, mère. Un temps, elle se montra nerveuse à l’excès. Le critique Jouvin la définissait alors : « Un piano, une fleur, un cri. » Puis elle se domina, élargit sa manière, assouplit merveilleusement son talent. Elle pouvait être parfaite tour à tour dans le Mariage de Victorine et dans le Demi-Monde, dans un rôle de jeune fille et dans un rôle de courtisane. Dans la Crise d’Octave Feuillet, elle allait se montrer charmante d’inquiétude amoureuse et d’honnêteté conjugale emmêlées.

La souscription à l’emprunt, qui marche à merveille, oblige Eugène Feuillet à une assiduité plus exacte à son ministère. Cependant il ne perd pas de vue la représentation de la Crise. Le Gymnase, malgré ses promesses, a monté Diane de Lys, un des succès de Rose Chéri. Octave, d’autant plus ombrageux qu’il est plus éloigné, menace à nouveau de retirer sa pièce. Et Eugène reprend le chemin du cabinet directorial pour y faire une nouvelle scène. — Quel homme terrible que votre frère ! lui explique Montigny qui joue l’innocent, et quels terribles hommes que les auteurs dramatiques en général ! Il voit un article dans un journal : crac, rendez-moi mon manuscrit. Nous tardons deux jours à lui répondre : crac, rendez-moi mon manuscrit. Mais si nous ne l’aimions pas comme nous l’aimons, nous le lui aurions rendu depuis longtemps, son manuscrit... Ce qu’Eugène traduit par : — Nous avons une bonne pièce : nous n’allons pas la lâcher. — Et de fait, Montigny s’engage à