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confié, — et de préférence à Augustine, plus intelligente, — le rôle de Juliette de Marsan.

Sur ces exquises comédiennes du Second Empire, c’est encore l’avis de ce méchant Monselet que je citerai, car il voit clair, s’il a des œillades assassines. « Le talent de cette belle et agréable personne, écrit-il de Madeleine Brohan, n’est point de ceux qui commandent l’admiration et déchaînent l’enthousiasme. Mme Madeleine Brohan joue bien, dit purement, plaît au regard : mais elle n’a ni cette âpreté ni ce coquinisme auxquels se reconnaissent plus ou moins les actrices de race. Il ne lui arrive jamais de faire craquer ses rôles, d’outrer une situation, d’oublier ses camarades et la scène : l’éventail de Célimène s’ouvre et se déploie harmonieusement dans ses admirables mains blanches : mais n’ayez pas peur qu’il s’y brise, broyé entre deux alexandrins fiévreux de Molière. Est-il bien certain qu’elle soit née pour le théâtre ? Ne semble-t-elle pas plutôt appartenir à cette classe de femmes dont les robes apparaissent sur le perron des châteaux et qui font de leur vie une perpétuelle fête sereine ? Je cherche la passion sur ce visage heureux et je n’y trouve que la grâce. »

Eugène Feuillet, qui est le type de l’amateur de théâtre, est plus sévère. Il l’estime peu intelligente et lui préfère Augustine. Mais Augustine exagère. Son succès l’a grisée. Après s’être donnée à la scène, elle ne pensa plus qu’à elle-même et tint bureau d’esprit : « Des tapissiers furent mandés, assure Charles Monselet : on leur ordonna de remettre à neuf cette chambre bleue d’Arthénice dont la maison natale de la rue Saint-Thomas-du-Louvre semblait provoquer la résurrection... Ce n’eût été rien : mais la femme de lettres se mit en tête de surenchérir sur la comédienne : elle pensa qu’il devait y avoir quelque chose à ajouter à la Rosine de Tartufe, et à la Nicole du Bourgeois gentilhomme : elle s’imagina que Marivaux n’avait peut-être pas expliqué suffisamment la Lisette du Jeu de l’amour et du hasard et qu’un peu de poivre long réveillerait ces créations assoupies. Dès lors, agaçant travail, elle se mit à ponctuer et souligner tous ses rôles, imposant sa trop attentive collaboration aux vivants et aux défunts, jouant tour à tour le Légataire par Regnard et Augustine Brohan, le Mariage de Figaro par Beaumarchais et Augustine Brohan, les Demoiselles de Saint-Cyr par Alexandre Dumas et Augustine Brohan. Sa personnalité