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s’y trahit, et ils la trahissent à leur tour. Un jour le romancier se fera leur complice, et nous aurons les Choses voient. Mais nous en sommes encore loin.

Quatre ou cinq ans devaient s’écouler avant qu’un manuscrit à la main il franchit le seuil d’un éditeur. L’éditeur était Paul Perrin. Le roman, intitulé Un Simple, violent, inexpérimenté, se ressentait de l’influence du naturalisme : le jeune auteur y avait traité, sans le savoir, le même sujet que celui de Pierre et Jean, avec plus de dureté, comme il convient à la jeunesse. Perrin en vit les défauts, mais, sous ces défauts, de telles qualités qu’il n’hésita pas un instant sur la valeur et sur l’avenir de l’inconnu. Il l’accueillit non seulement avec sa bienveillance et sa courtoisie coutumières, mais avec une sympathie qui s’adressait à l’homme et qui faisait de son accueil une sorte d’installation dans son amitié. Mais que cette amitié fut longue à devenir une intimité ! M. Doumic a rappelé ici même, lorsque nous avons eu la douleur de le perdre, quel homme charmant et rare fut « ce type accompli du libraire à la française » et avec quel plaisir ses auteurs lui rendaient visite simplement pour causer. Il avait toujours l’air heureux de vous voir, comme si vous lui apportiez une occasion de vous obliger ; et, même quand le succès de votre dernier livre ne répondait pas à son attente, ou à la vôtre, il trouvait toujours des mots qui vous remontaient. M. Estaunié a connu le charme de ces causeries ; mais, lorsqu’il avait donné un roman et qu’on avait obtenu de lui qu’il fit son service de presse, — ce qui n’était pas toujours facile, — il disparaissait des mois et des mois, tant il craignait que son roman fût une mauvaise affaire pour son éditeur.

Ils demeurèrent ainsi une vingtaine d’années, fidèles l’un à l’autre, aussi discrets l’un que l’autre, sentant qu’ils pouvaient compter l’un sur l’autre ; et un jour ils éprouvèrent qu’ils étaient d’intimes amis.

Cependant la carrière de l’ingénieur se déroulait parallèlement à celle du romancier. Je n’y insisterais pas, si elle avait été obscure et monotone. Qu’un Huysmans, par exemple, soit resté vingt ou trente ans chef de bureau dans un ministère, cela n’offre aucun intérêt à ceux qui étudient son œuvre, parce que rien dans ses fonctions ne pouvait le détourner d’écrire. Mais la vie administrative de M. Estaunié, par le travail qu’elle lui imposait,