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une institution de luxe, une vaste expérience faite chaque année sur deux cents cerveaux afin d’y découvrir et, s’il y a lieu, d’y développer les aptitudes mathématiques et le génie qui glorifierait la science française. Cette expérience donne ou ne donne pas de résultats ; affaire de chance ! Mais il semble que. tous les deux ou trois ans au moins, il en sorte un bel exemplaire. Pour le reste, pour la grande masse des Polytechniciens, on les rejette dans le courant. Ils n’ont pas à se plaindre. Que leur a coûté l’aventure ? Deux années d’études désintéressées, deux années de science pure, d’une science dont ils n’auront peut-être jamais l’occasion de se servir. Soit, mais deux années durant lesquelles ils ont acquis une souplesse et une rapidité de conception qui leur permet de s’adapter aux fonctions les plus variées. On prétend que le Polytechnicien est un théoricien inutilisable. C’est absurde. Il fait à l’École d’application les études pratiques qu’on fait ailleurs ; mais il les fait avec une méthode de travail incomparable. Assurément chaque promotion a son poids de médiocrité : des cerveaux vite usés, des esprits dénués de critique qui se persuadent que la science dont on les a nourris est toute la vérité. L’extrême culture mondaine ou supérieure, mal assimilée, rejoint l’outrecuidance primaire. Nous le voyons tous les jours, et nous n’avons pas besoin d’aller à Polytechnique pour le voir. Au total, quelques déséquilibrés, quelques abrutis, quelques vaniteux. Mais à côté de ceux-là les seuls dont on parle, que d’autres, dont l’intelligence, admirablement disciplinée, sait se plier, dans les ordres les plus divers, à ce qu’on attend d’eux ! »

Des témoignages comme celui de M. Estaunié sont précieux à retenir dans une démocratie où la défiance s’attache invinciblement à toutes les formations d’élite et où nous sommes toujours menacés par l’esprit de nivellement. Ils le sont davantage lorsqu’ils nous viennent d’un homme que sa vocation n’avait pas orienté vers ce genre d’études et dont elles exercèrent la volonté plus qu’elles ne répondaient à son ambition naturelle. Du plus loin qu’il remonte dans son passé, il ne lui souvient pas d’avoir jamais douté qu’il écrirait des romans. En eût-il écrit d’autres, s’il n’avait pas été polytechnicien ? On n’a pas manqué de retrouver l’influence de la culture scientifique dans ce que ses inventions romanesques paraissent avoir de déductif, de démonstratif et, pour tout dire, de « construit. : » Prenons garde d’attribuer