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— Ils ont tué mon frère. Je m’étais promis d’en avoir un.

Et d’un geste violent il lance une grenade dans l’abri par-dessus le mourant. Cinq secondes... un coup sourd... de la fumée qui sort de la cave, et, d’en bas, une clameur désespérée qui monte. Les poilus hurlent et trépignent de colère, tels des Indiens dansant la danse du scalp, criant avec des voix que la rage étrangle :

— Pas ça ! pas ça ! des grenades incendiaires ! il faut les brûler vivants !

On se bat, entassés dans l’étroit espace, pour lancer la mort dans le repaire. Et dans le piège noir, les Allemands affolés se lamentent éperdument. La minute est tragique. Des appels de détresse, des Kamarad ! suppliants traversent le fracas féroce des grenades. La caverne a deux entrées. Je m’élance devant la seconde que des poilus surveillent, attentifs. Me penchant sur l’escalier, je crie en langue allemande :

— Sortez sans armes ! vous êtes prisonniers !

Un concert d’exclamations diverses me répond et je vois surgir de la nuit un visage hirsute, une face grotesque sous le casque qui ressemble à un chaudron. L’homme gravit à genoux les degrés. Il me saisit les mains et les baise en se prosternant humblement. Je le repousse, et les poilus, comme des forcenés, l’empoignent, le tirent à eux, se le renvoient le long de la tranchée, à coups de pieds, à coups de crosse, à coups de poings. Le deuxième monte à genoux, comme le premier, et les bras levés ; du sang ruisselle avec des larmes sur son visage. Ils sortent tous, l’un après l’autre, suant de peur et répétant :

— Pardon, monsieur ! Français ! Kamarad !

En voyant les crosses levées, ils prennent des cigares dans leurs poches crasseuses et les tendent aux poilus en répétant :

— Pardon ! pardon ! pardon !

Ce sont de grands gaillards du 1er régiment de la Garde. A les voir ainsi s’avilir, je sens le mépris m’envahir. Parmi eux, seul, un jeune capitaine garde sa fierté ; il passe devant nous en baissant le front et en regardant de côté. Héron fait voler sa casquette d’un coup de poing. Il se penche pour la ramasser...

... C’est fini, il n’en sort plus. Le sous-lieutenant Dunck arrive, couvert de sueur, et nous jette :

— Que l’un de vous descende là-dedans voir s’il en reste !

— J’y vais, mon lieutenant.