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— Les Boches sont morts ! on ne trouvera que des macabs, lance une voix.

Mais ce mot de macab communique à chacun de nous un frisson. Un poilu prend la parole :

— Pas besoin de s’en faire. Ceux qui doivent mourir sont déjà condamnés. C’est peut-être moi ! c’est peut-être lui ! c’est peut-être un autre !

— C’est peut-être tous ! réplique un homme. Écoutez ça ! c’est la fin du monde...

— Oh ! nous écrions-nous tous ensemble.

— Mais, dit Férat, puisque c’est nous qui tirons, b... d’idiot !

— Ecoutez ça ! reprend le lugubre prophète.

Et dans le silence des voix, nous tendons l’oreille aux bruits décuplés de l’orage. Ils grandissent de minute en minute. On dirait parfois qu’ils sortent du centre de la terre, tant la terre mugit, secouée. Je me transporte en esprit aux époques de la préhistoire où s’élabora le monde, dans les tremblements du sol et dans le feu.

— Il y a des jours que cela dure !... murmure un soldat comme dans un rêve.

— Il y a des années ! réplique un autre.

Le premier pense à la bataille du moment, le deuxième à la guerre qu’il a connue dans tous les corps maudits depuis 1914.

Nous nous taisons longuement...

Puis, Bachelier élève la voix, en réponse à la prophétie de tout à l’heure, oubliée déjà.

— Il n’y aura personne de touché, peut-être.

On s’empare de ce fragile espoir et l’on dit :

— Peut-être !

— Ça c’est vu, ces choses-là !

— Des fois !

— Pas souvent !

Chacun s’isole et s’enferme en lui-même. Je me mets à prier dans mon cœur, comme à Verdun.

...Un agent de liaison, à l’entrée, demande si cet abri est bien celui du sergent Sirey.

— Présent ! répond Sirey, c’est bien ici !

— C’est du génie que je vous amène !

Les soldats du génie, au nombre de dix environ, descendent les degrés de l’escalier de terre.