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SOUVENIRS D’UN CAPORAL DU 57e RÉGIMENT D’INFANTERIE

L’HEURE H
(4-5 MAI 1917)

Le tunnel qui traverse le plateau de Craonnelle et dans lequel la 10e compagnie s’entasse est une prison fétide. L’unité qui nous a précédé l’a semé de détritus, de linges pouilleux, de boites de conserves, de débris hétéroclites. Une odeur acre imprègne l’atmosphère et nous suffoque. Nous ne sortirons de là que pour l’attaque. Elle est toute proche, chacun le sait. Elle se déclenchera peut-être ce soir, peut-être demain, peut-être un jour plus tard, mais elle ne tardera pas. J’écoute le grondement de la canonnade, plus fort d’heure en heure. Sur la terre, l’œuvre de massacre et d’écrasement s’accomplit. Tous les tocsins du monde sonnent un gigantesque glas dans la vallée de l’Aisne...

Les heures sont longues, longues. Le regard se lasse de suivre la marche pénible de l’aiguille sur le cadran des montres. Personne ne s’inquiète plus de savoir si le soleil a lui sur la bataille ou si la nuit la couvre de ses ombres. Et comme nous, des milliers d’hommes vivent enterrés, dans l’attente de ce qui se prépare, de ce qui s’ébauche dans les ténèbres ou dans la clarté du jour. Ils sont des milliers de soldats arrachés par la guerre à leur champ, à leur cité, à leur foyer tant chéri...

Je regarde l’un après l’autre les hommes de la section, éclairés par la lueur des bougies.

Les deux sergents sont assis près de moi. Sirey, le premier,