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parole ! L’Empereur l’a regardée en souriant d’un œil humide, mais cela n’a fait que redoubler son spasme, et elle n’a pu se consoler que bien après la chute du rideau. Ils avaient encore le cœur bien gros tous les deux, quand ils ont fait leurs compliments à Beaufort, et Beaufort était fort ému de tout cela. Il est monté avec moi chez Fargueil qui avait particulièrement fixé l’attention de Leurs Majestés et m’a dit qu’il avait parlé d’Octave avec l’Empereur. En somme, tout le monde est content, et il y a de quoi.


IX. — OCTAVE A PARIS.

Sur cet agréable tableau, fermons la correspondance d’Eugène Feuillet. Lui-même, peu de jours après, quitte Paris pour se rendre en hâte à Saint-Lô où il sera parrain d’un petit Jacques. Aussi bien son rôle est-il joué. La mort paternelle va rendre à Octave sa liberté.

Octave, en 1858, revient à Paris, ce qui fait le bonheur de sa femme. La rue de Tournon remplace avantageusement la rue Torteron. Il connaît à la fois, avec le Roman d’un jeune homme pauvre, son plus grand succès en librairie et au théâtre. Le plus aimablement du monde, M. René Doumic m’a reproché de n’avoir pas fait sa part au Roman d’un jeune homme pauvre, ou du moins sa part suffisante dans le discours que j’eus l’honneur de prononcer à Saint-Lô, au nom de l’Académie française, pour le centenaire d’Octave Feuillet. Je crois qu’il a tout ensemble tort et raison, comme il arrive. Le Roman d’un jeune homme pauvre est, dans la carrière de Feuillet, l’œuvre caractéristique, celle où il apporte une sensibilité nouvelle, où il fait entendre une musique inédite et entonnée avec toute l’ardeur de la jeunesse, mais il est loin d’être sa meilleure œuvre. Il est l’aboutissement des longues années de retraite passées à Saint-Lô, années heureuses et fécondes où l’écrivain s’est peu à peu trouvé. Mais Octave Feuillet va se perfectionner lentement, gagner à la fois en finesse et en force. Alors, et alors seulement, il donnera ses grandes œuvres : M. de Camors, Sibylle, Julia de Trécœur.

Quand la Cour l’attire et le gâte, à Compiègne, et à Fontainebleau plus tard, il n’a qu’une idée : se sauver à Saint-Lô. Il n’aime le monde qu’en passant. Il a pris goût à cette solitude