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enfin un succès. Puis il donne ces curieux détails sur l’effet produit par le jeu de Régnier :

« Je vais te dire une chose qui va l’étonner ; cela m’étonne moi-même après l’effet des répétitions. C’est Régnier qui produit le moins de sensation dans la pièce. Il ne le sait pas et ce n’est certes pas moi qui le lui dirai. Mais c’est comme ça, Samson est la perfection même. Il n’y a rien, absolument rien à désirer de plus. Nathalie a été applaudie hier à la fin de son grand couplet par une double salve on ne peut plus corsée. Je crois qu’elle n’avait jamais été à pareille fête. Régnier est fort applaudi aussi, mais c’est plus tiède, on sent qu’on applaudit plus encore l’auteur que l’acteur. Ce diable de Régnier a contre lui sa voix et ses allures communes, sa voix n’est pas aussi sympathique qu’on le voudrait. Et pourtant, comment expliquer ça, il fait pleurer à chaudes larmes aux répétitions, hier au soir après la pièce, dans sa loge, je le trouve en caleçon, et en chemise, les pieds nus, causant avec MM. Charton et Henri Monnier. Nous agitons la question de faire une petite coupure dans sa grande scène de la fin. Cette coupure une fois arrêtée, Régnier, pour la raccorder, se lève et redit dans l’étrange costume ci-dessus, presque toute la fin ; eh bien ! mon émotion a été énorme, et Henri Monnier pleurait. C’est curieux ça, de près on sent tout ce que Régnier sent et veut faire sentir, mais, à la scène, son émotion ne se projette pas assez loin,… je ne sais quoi. Mais par exemple, quand il s’agit de chauffer le public, d’enlever une scène, il n’a pas son pareil, si ce n’est Samson. « Mais je te conduirai par la main mon garçon… » il faut le voir entraîner le trottinant Dupuis, et le public avec. En somme, aucun acteur ne jouerait encore le rôle comme lui, mais je crois que lui-même pourrait produire plus d’effet qu’il n’en produit. »

Un autre jour, comme il sort de chez l’administrateur, il entre chez Verteuil, secrétaire général de la Comédie, pour demander quelques places : « J’ai trouvé là explique-t-il à Valérie, qui, cette fois, est sa confidente, deux dames dont l’une était la charmante Mme Berton que j’ai saluée de mon mieux ; quant à l’autre, qui me tournait le dos, je l’ai un peu bousculée pour atteindre Verteuil. — « Que veut M. Feuillet ? » dit Verteuil. Là-dessus la charmante créature que j’avais dérangée se retourne : — « M. Feuillet ! dit-elle, que j’aime à entendre ce nom-là et que j’ai de plaisir à vous voir, monsieur ! » C’était