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« J’ai été ravi de la Petite Comtesse malgré ses malheurs et tu peux être certain que cette nouvelle sera classée parmi les meilleures. Il y en a peut-être qu’on lui préférera à cause de son fatal dénouement, mais je te dis, moi, que tu n’as rien fait de plus fort. Le commencement et la fin, chacun à leur manière, sont traités de main de maître, et je te dirai comme Buloz : continue. Mais fais-nous maintenant quelque petite goguenardise pour nous consoler, n’est-ce pas ? car c’est vraiment terrible, cette leçon que tu donnes aux petites femmes légères, et la fin est un coup de massue, peut-être un peu subit, à ce qu’il m’a semblé, relativement au développement de certaines parties qui intéressent moins vivement. Du reste, on ne saurait mettre un cadre trop grand ni trop orné à un si joli sujet, »

Ce reproche d’une disparate entre le commencement de la nouvelle et sa fin, ce reproche d’avoir brusqué le dénouement, n’était pas formulé sans délicatesse. Mais il tombe sur un artiste si ombrageux, si nerveux, si prompt à se faire du souci ! Octave le prend très mal à Saint-Lô : on peut s’en rendre compte à cette lettre qu’Eugène lui adresse le 10 janvier, quelques jours après la première, où il se hâte de s’excuser de ses réserves :

« Veux-tu que je te dise, mon cher Octave ? Si ç’avait été toi, la montagne n’eût pas accouché de la souris ; c’est la souris qui aurait accouché de la montagne, et tu m’aurais peut-être jeté la montagne à la tête pour me punir de tous les crimes dont je me suis rendu coupable envers ta personne. N’est-ce pas ce que tu viens de faire dans la limite de tes pouvoirs ? Si tu n’as pas compris ma lettre, moi j’ai parfaitement compris la tienne, qui m’accable de reproches. S’ils ont pour objet mes torts vis-à-vis de toi, ces reproches s’adressent mal en s’adressant à moi, et plus mal encore s’il s’agit des torts des autres. Quand il s’agit de vous là-bas, mon cher ami, je me laisse toujours mener par mon cœur, et je suis alors si sûr de ses menées que je ne puis craindre de m’être égaré un instant. Je te déclare donc hautement que ma conscience est parfaitement tranquille. Aussi ai-je été seulement étonné d’abord de te voir manifester un doute sur moi ; puis un peu dépité parce qu’il est dur… d’être accusé de négligence par ceux-là même pour qui et par qui l’on vit en grande partie. Enfin je n’ai plus songé qu’au mal que tu te fais, mais que tu ressens après tout, quelque absurde et quelque mal fondé qu’il soit, comme je vais te le