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rayonnante de joie. « Elle avait vingt ans de moins,» assure-t-il, et il ajoute perfidement : « et a dû être bien jolie. »

Au fond, le succès n’a été modéré qu’à i la première, mais aux deux suivantes il s’enfle comme une voile sous le vent. La critique est généralement bonne : Théophile Gautier bien ; Fiorentino pas mauvais ; Saint-Victor bienveillant. Mais Prémaray, qui vient d’avoir une pièce sifflée à outrance à l’Odéon, veut une revanche, et Jules Janin a écrit dans les Débats un infâme feuilleton. Ce feuilleton met en rage Eugène Feuillet. Il prononce sur le critique des jugements catégoriques et véhéments, l’accable d’injures, lui prèle les plus hideux calculs, et les plus étrangers à la littérature. Les temps n’ont guère changé, et il n’est pas rare qu’un auteur, de toute une presse favorable, extraie le seul article méchant pour s’en irriter. Il faudrait qu’Octave calmât son frère exaspéré. Celui-ci, cependant, pour mettre du baume sur la blessure d’amour-propre, brosse un brillant compte rendu de la troisième à laquelle assistaient Leurs Majestés :

« Malgré M. Janin, l’Empereur, revenu de la veille au soir, s’est empressé de venir voir la pièce dès hier, et je puis l’affirmer que je n’ai pas vu, même parmi nos plus chers amis, d’amis se conduire plus chaudement dans l’intérêt de ton succès que ne l’ont fait l’Empereur et l’Impératrice que j’ai suivis de l’œil tout le temps. Quand je suis arrivé au Théâtre à sept heures, j’ai vu avec bonheur un fort piquet de troupes stationner devant l’entrée particulière de Leurs Majestés, puis déjà une foule assez considérable qui, devinant comme moi que l’Empereur allait venir, s’amassait aux abords du Théâtre. Comme si l’Empereur eût voulu rendre pour toi la réclame aussi bonne et aussi longue que possible, il a laissé la foule s’amasser pendant très longtemps, et il était plus de neuf heures quand il est arrivé. Je n’ai pas besoin de te dire qu’on l’a attendu pour frapper les trois coups. On l’a accueilli par une salve d’applaudissements, puis il n’a pas été plus tôt assis que le rideau s’est levé, et que ton premier acte a commencé. L’intérêt a paru très soutenu dans la loge impériale. Je n’avais pas encore vu l’Empereur rire aussi franchement, et j’ai souvent entendu sortir de sa bouche d’excellentes paroles ; entre autres « C’est charmant » que l’Impératrice répétait. Mais où l’Empereur a particulièrement témoigné de sa sympathie pour ton œuvre et pour toi, c’est à la fin tout à fait. Il a applaudi comme moi. Puis, laissant partir sa femme et