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ne se lasse pas de citer, dit « qu’en allant étudier en Allemagne, il se sentait pareil aux anciens Slaves qui allaient demander des chefs chez les Varègues. »


La géographie et l’histoire apportent donc ces enseignements : dislocation, instabilité, inquiétude, pessimisme, mysticisme, errance.

Comment corriger ces maux que le peuple russe, lui-même, intelligent et sensible au plus haut degré, éprouve en son intime essence, tandis que son sang aryen, pimenté de sémitisme, le rend apte à toutes les civilisations ? Le Russe, fier de ses dons, de son originalité, si propre à s’adapter, à se transformer, à se déguiser en n’importe quel personnage civilisé, dit : « Je sais toutes vos langues, mais vous ne savez pas la mienne. »

En effet, de toutes mains, il reçoit. Nous avons dit qu’à la civilisation grecque et byzantine la Russie a pris la religion et l’autocratie. A cette immense démocratie, se cherchant elle-même, il fallait un César ; le tsarisme fut la forme naturelle du Gouvernement. Né du patriarcat, fils de la tente, encadré du décor oriental, il emprunte aux plus intrépides parmi les races du Nord, aux Normands, aux Scandinaves, la tension d’une volonté forte, la résolution de combattre et le goût du risque. Sa capitale ne sera ni Constantinople, ni Kiew, ni même Moscou ; ce sera la ville du Nord, la ville baltique, Saint-Pétersbourg.

C’est une histoire connue : on sait que la Russie a été faite de la main de Pierre le Grand et de Catherine, et qu’elle a été martelée, à coup de conquêtes sur les pouvoirs locaux et sur les frontières incertaines, par le tsarisme militaire. Et cette création s’accomplit en moins de deux siècles, en un de ces étés rapides et fleuris qui s’épanouissent après les longs hivers...

Comment le tsarisme succomba dès que cette volonté se relâcha, c’est une autre conséquence, non moins logique, de toute l’histoire russe. Mais il est à observer que la cause immédiate de la ruine fut la lassitude et le dégoût qui suivirent l’échec de deux grandes entreprises militaires imposées à la Russie par sa situation même : l’une contre l’Asie, la guerre japonaise, l’autre contre l’Europe, la guerre germanique, qui devait aboutir à la conquête de l’éternel objet des convoitises raciales : Constantinople.