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rangée de dents blanches au fond d’une barbe plus noire que l’Erèbe. M. Paul de Saint-Victor, fin et attentif, écoute une jeune dame assise à côté de lui, et qui parle comme un feuilleton, après avoir autrefois parlé comme un vaudeville... » Il faudrait ajouter à cette liste incomplète Gustave Planche, Albéric Second, Edouard Thierry, Armand de Pontmartin et Emile Montégut, et le plus illustre de tous, Théophile Gautier, et le plus bruyant, Jules Janin, le prédécesseur de Jules Lemaître et de M. Henry Bidou aux Débats, qui ne peut rester au spectacle jusqu’à la fin, car « il va jouer aux dominos, et il rentrera chez lui parlant latin et se moquant de sa goutte. »

Les couloirs n’ont guère changé. Mais en ce temps-là c’était au foyer que se réunissaient les journalistes, « les quotidiens, les bi-hebdomadaires, les hebdomadaires, les mensuels, le Tintamarre et la Revue des Deux Mondes : cohue, poignées de mains, brouhaha, intérêts, défiances, promesses, jugements contenus, mots d’ordre pris et oubliés, recommandations et présentations, des rires, quelquefois des colères, un mot préparé et qui avorte, un mot involontaire et qui fait fortune, les regrets et les comparaisons, le comédien qu’on invente et celui qu’on enterre, la figurante d’hier dont on fait le premier sujet de demain... »

C’est dans ce milieu difficile de directeurs, de comédiens et de critiques qu’il fallait naviguer. Dès les premières lettres, Eugène Feuillet se révèle un nautonier de premier ordre. Il s’était fait la main sur les directeurs de revues et de journaux, n’ayant pas craint d’affronter à la Revue le terrible Buloz en personne, et même son caissier, muet et impassible comme un gardien du sérail. Il a le pied parisien. Ainsi voit-il, d’un coup d’œil sûr, quel appui représente le monde pour le lancement d’un jeune auteur. Le Gymnase tarde à jouer le Pour et le Contre : la princesse Gagarine fait jouer chez elle cette bluette et se réserve le principal rôle. Il envoie la nouvelle à Saint-Lô comme un bulletin de victoire, donne la répartition des rôles (le marquis : M. de Humboldt : la marquise : princesse Gagarine : un domestique : prince Boris Kourakin), copie des passages flatteurs du Paris, le journal de Gavarni, et cite, comme une gazette, les principaux auditeurs : la princesse Mathilde qui déjà s’intéresse à Octave Feuillet, la marquise d’Adda, la princesse de Bauffremont, la duchesse de La