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Victor Hugo, exilé volontaire, n’était plus là pour prolonger son existence. Ponsard reprenait l’offensive et Rachel, la géniale Rachel assurait le retour triomphal de la tragédie classique. Dans la comédie, Scribe régnait encore, prodigieusement habile, maître dans l’art de tirer les ficelles de ses pantins : Bertrand et Raton réussissait Ji merveille et Adrienne Lecouvreur en collaboration avec Legouvé. Mais on voyait poindre à l’horizon des astres nouveaux, Emile Augier et Dumas fils, qui allaient renouveler l’art dramatique, l’un en le rapprochant de l’observation réelle, l’autre en le pliant à la critique sociale. Auprès d’eux, avec plus de poésie intime et moins de vigueur, allait se ranger Octave Feuillet.

Parmi les grands comédiens et les comédiennes en renom, on citait le vieux Bocage, pareil à un général qui n’accepte pas la retraite, Samson, Régnier, Dressant, au Théâtre-Français, Lafontaine, Got, Delaunay qui débutaient, Rachel orageuse et sublime, les deux Brohan, Augustine et Madeleine, l’une plus fine et spirituelle, l’autre plus mesurée et clairvoyante, MmeAllan inimitable dans les rôles de mère, et Nathalie et la charmante Rose Chéri qui avait épousé Montigny, le directeur du Gymnase, et tant d’autres qu’il faudrait citer, s’il s’agissait de dresser le bilan des spectacles au commencement du Second Empire. Quant à la critique, elle exerçait ses fonctions avec une autorité et un manque de complaisance qui sont aujourd’hui fort atténués. Dans un amusant ouvrage, les Premières représentations célèbres [1], Charles Monselet qui, lui-même, se montrait assez méchant et hargneux, nous trace ce tableau du tout-Paris de 18o7 : « Voici les zélés : un pince-nez se montre, pré- cédant un personnage de petite taille, M. Jules de Prémaray, l’homme d’esprit de la Patrie : il est suivi par M. d’Avrigny qui représente l’Assemblée Nationale. M. Jouvin, dont la myopie a fait oublier celle de M. Paul Foucher, se heurte à tout le monde en cherchant sa stalle, et fait ses excuses à son beau-père qu’il ne reconnaît pas. Un peu raide, mais souriant et vêtu avec recherche, c’est M. de Calonne, un grand nom à la tête de la Revue contemporaine. M. Fiorentino est trop vaste pour se contenter d’un fauteuil d’orchestre, il remplit la loge du Constitutionnel et sourit débonnairement, en découvrant une double

  1. Les premières représentations célèbres, par Charles Monselet (Degorge-Cadot, éditeur).