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peuples à disposer d’eux-mêmes ayant ressuscité la Pologne, il était facile de se rendre compte qu’une Europe où une Pologne libre s’interpose entre l’Allemagne et la Russie diffère profondément de celle de 1914. Nous avons inséré dans le traité de Versailles un article qui stipule l’annulation des traités de Brest-Litowsk ; mais la Russie n’en reste pas moins une vaincue de la guerre ; elle subit l’ascendant du vainqueur qui a lâché sur elle Lénine comme sur une proie et qui l’enveloppe d’un réseau d’intrigues, favorisées par les juifs allemands qui forment la majeure partie de l’état-major bolchéviste, afin de la river au système germanique. Vers l’Est apparaît aujourd’hui le seul espoir de puissance politique et d’expansion économique du Reich allemand. L’Europe oublie trop vite ! Est-ce qu’en juillet 1920, quand les armées rouges victorieuses convergeaient vers Varsovie, poussant devant elles les troupes polonaises démoralisées, l’accord n’était pas virtuellement conclu entre Berlin et Moscou et n’aurions-nous pas vu, si les troupes soviétiques étaient entrées à Varsovie, l’Allemagne se lever pour reprendre Poznan, Thorn, Gdansk ? La France se trouva seule, ce jour-là pour sauver l’Europe ; elle envoya le général Weygand qui sut rendre aux Polonais la confiance qui donne la victoire. Dans certains camps, on ne lui a pas pardonné.

Allemands et bolchévistes poursuivent leur plan ; ils ne s’attaqueront pas, d’abord aux Puissances de l’Ouest, mais ils poursuivent la reprise du « couloir » de Dantzig, qui fait communiquer Berlin avec Kœnigsberg et, au delà avec la Russie, inépuisable réservoir d’hommes et de matières premières. On signalait, précisément, ces jours-ci, des deux côtés du « couloir » polonais, des rassemblements de troupes allemandes. Ce n’est un mystère pour personne que les Allemands, et notamment M. Rathenau, conservent l’espoir de réviser les frontières orientales que le traité de Versailles assigne au Reich allemand ; en Pologne, en Silésie, ils se préparent à l’action, tandis que les bolchévistes, qui espèrent se maintenir au pouvoir en galvanisant à leur profit le sentiment national russe, menacent par l’Est la Pologne et la Roumanie. La conjonction germano-russe est le grand danger qui menace l’Europe nouvelle et l’œuvre du traité de Versailles ; on savait à Paris qu’elle se préparait, et il est incroyable, que le Premier d’Angleterre l’ait ignoré, que son ambassadeur, lord d’Abernon, si bien en cour à Berlin, ne l’en ait pas informé, alors que le traité signé à Rapallo semble bien n’être qu’un extrait d’un instrument diplomatique plus complet dont les termes ont été arrêtés à Berlin dès le 3 avril. Voilà pourquoi si, en France,