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Fred est inquiet, nerveux, mécontent ! Un non-lieu, il paraît que ce n’est pas encore tout à fait la décoration. Certains se détournent de Fred : son père même semble avoir gardé quelques soupçons. Alors les scrupules renaissent chez Barsanges ; de nouveau, le besoin d’avouer s’empare de lui. Déjà Fred l’a deviné à son trouble. Afin de libérer sa conscience, Barsanges a écrit à l’adresse du Procureur de la République une lettre, où il fait le récit complet du crime. Il la confie à Fred. Que le jeune homme en use à son gré ! Survient le père. De tenir enfin la preuve décisive, de savoir, à n’en pas douter, que son petit est innocent, quel soulagement ! Oui, mais son petit ne va pas porter cette lettre au Procureur. Bon pour des bourgeois, de se venger. On est socialiste, donc humanitaire. Une telle lettre, on la déchire. Au même instant, Barsanges se tue. Tant pis pour Fred, qui a détruit l’unique preuve de son innocence.

Ce qui frappe dans ce drame rapide et sommaire, c’est l’accumulation des effets et des coups de théâtre. Épris d’idées et de philosophie, l’auteur a voulu mettre sous nos yeux un conflit moral. Mais précisément parce que l’écrivain en lui a été, de longue date, façonné par la scène, il a éprouvé le besoin que tout fût en scène, constamment en scène, et porté au paroxysme de l’effet. Tableau sans ombres, drame sans détente, dont le principal défaut est d’être trop « théâtre », exclusivement « théâtre », « théâtre » éperdument.

M. Le Bargy, qui tient le rôle de Barsanges, s’est montré à nous si différent du Le Bargy auquel nous étions accoutumés que nous avions peine à le reconnaître. Où sont les élégances d’antan ? où les redingotes de coupe impeccable ? où les cravates suaves et les cannes de prix ? Ayant à incarner un chef du parti populaire, M. Le Bargy s’est fait une silhouette bien démocratique. Son visage convulsé ne traduit que l’angoisse, la détresse et l’horreur. Il lui faut toute sa sûreté de grand artiste pour se maintenir au bord du mélodrame. L’excellent Vargas a été très émouvant et très applaudi dans sa scène du second acte. Mlle Briey s’est tirée à son honneur du rôle dur et ingrat de la vierge rouge. Les autres rôles sont convenablement tenus.


RENÉ DOUMIC.