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Pour obliger son oncle et en manière de remerciement, il accepte d’être le quatorzième réclamé. Mais le baron Mongerey n’a pas volé son surnom de « la belle Angevine, » qui désigne, comme vous le savez, non pas un type de femme, mais une variété de poire, la reine des poires. C’est ce soir de crémaillère qu’Huguette Valois a choisi pour le lâcher. Il est trop tard pour décommander le dîner. Qui présidera la table ? Or une jeune personne, Brigitte, a surpris la communication téléphonique : ce n’est pas du tout sans exemple. Elle se présente. Elle se présente bien. Elle portera à ravir la toilette préparée pour une autre. Il n’était que temps ! Les invités arrivent.

Toute la première partie du second acte se passe en propos interrompus. Les couples irréguliers bavardent en visitant l’hôtel. Tout s’est admirablement passé, et l’avis général est que Mongerey n’a pas perdu échanger de maîtresse. La maîtresse de Mongerey ? Brigitte ne l’est pas encore. Mais il semble bien que cette éventualité soit toute proche... C’est alors qu’un bout de scène entre Brigitte et Roger va retourner la situation, nous révéler ce que nous n’avions ni deviné, ni soupçonné, donner à la pièce une autre allure et son vrai sens.

Car nous ne connaissons pas Brigitte. Nous ignorons qui elle est et d’où elle vient Roger, lui, l’a reconnue. Et pour la reconnaître, dans un tel milieu, il lui a fallu ouvrir tout grands ses yeux, derrière ses lunettes de jeune savant. Mais il ne peut s’y tromper : c’est cette étudiante qu’il a coutume de voir, à la Sorbonne, assidue comme lui aux cours, attentive aux leçons, inspirant à tous le respect par la dignité de sa tenue comme par son application à l’étude. Il veut en avoir le cœur net. Il lui adresse la parole. Que fait-elle ici ? Qu’est-elle venue faire dans cette galère, où l’on ne s’embarque que pour Cythère ? Et il met dans ses questions tant d’étonnement inquiet, tant d’émotion, que Brigitte se décide à lui répondre avec la même sincérité.

Eh bien ! oui, c’est elle, l’étudiante de la Sorbonne ; mais une étudiante de maintenant, une jeune fille moderne. Le temps n’est plus des petites oies blanches. Curieuse, avide de s’instruire, elle veut tout savoir ; et les gros livres qu’on emporte sous le bras en revenant de la Sorbonne ne disent pas tout. Elle est ici, en tout bien tout honneur, poussée par une curiosité toute cérébrale, pour compléter son éducation... Et cela fait frémir... Heureusement il y a un Dieu pour les braves petites filles, même quand elles poussent la bravoure jusqu’à la témérité, et le raisonnement jusqu’à l’absurde. Cette Brigitte l’aura échappé belle. La présence inattendue d’un honnête camarade l’a