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en écartant l’expression la plus malpropre. Ne leur parlez pas de ce qu’on appelle décence ou bon goût. Petite chose, le bon goût, si l’on a juré de peindre « tout le laid de la vie « et de le peindre sans faiblesse ni vergogne ! Cependant, il faut quelquefois transiger avec cette petite chose, le bon goût. Le faut-il ?

Mais oui. On lit, dans le Journal des Goncourt, à la date du 23 octobre 1864 : « Je retire ceci, comme trop vrai, de mon manuscrit de Germinie Lacerteux, lors de ses couches à la Bourbe... » Suit l’atroce récit de l’opération dite césarienne, deux longues pages que les Goncourt avaient gaillardement écrites et qu’ils retirent. Ne sont-ils pas contents de ces deux pages ? Ils les retirent « comme trop vraies. » Il y a donc une sorte de vérité qui leur paraît excessive ? Assurément ! Et ils l’avouent. M. J.-H. Rosny aîné, dans la « postface » de Chérie, raconte qu’Edmond de Goncourt a utilisé, pour ce roman, de très nombreuses lettres de femmes ou de jeunes filles : « les unes curieuses par la finesse psychologique, les autres par un réalisme qui parfois ne laissait pas d’être un peu choquant. Goncourt n’en a utilisé qu’une partie. Quelle que fût sa largeur d’idées en matière d’art, il avouait que certaines, riches en détails physiologiques, n’eussent pu figurer que dans ces recueils secrets qu’on se passe sous le manteau. » Second aveu ! Mais alors, s’il y a un excès de vérité que le bon goût condamne et que l’écrivain supprime, ce n’était pas la peine d’envoyer au diable ce public dégoûté qui refuse « le vrai et le cru de tout : » ce n’était pas non plus la peine de lui infliger « les poux, » s’il avait de la patience pour la simple « vermine ; » enfin, ce n’était pas la peine de le mépriser tout uniment parce qu’il ne plaçait pas juste au même point que vous le plus de vérité supportable.

Quand parut Germinie Lacerteux, la critique se fâcha : elle n’était point, en ce temps-là complaisante comme aujourd’hui. Merlet décria cette « littérature putride, » ce délit contre « l’art, le goût et la politesse des lettres françaises ; » il accusa les Goncourt d’avoir commis un « attentat littéraire ; » il dénonça « une mise en scène calculée pour un effet de surprise bruyante. » Charles Monselet, charmant écrivain qu’on a tort de ne pas relire, traita cette Germinie Lacerteux, avec indulgence, de « fange ciselée ; » l’indulgence est à mon avis, de remarquer la ciselure. Un bon article, d’un jeune homme inconnu encore, Emile Zola : l’œuvre, dit-il, est grande, la manifestation d’une forte personnalité ; il y admire « une indomptable énergie, un mépris souverain du jugement des sots et des timides, une audace large et superbe, une vigueur extrême de coloris et de pensée, un