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êtes tous là » Ses lettres apportent l’air de Paris : on les lit, on les relit, surtout Octave, mais Valérie a sa bonne part des gentillesses fraternelles : « Je t’assure, lui dit-il encore, que de jour en jour je me félicite davantage d’avoir une sœur comme toi. Et je le dis tout haut, et je le dis à tout venant, si bien qu’il serait absurde que tu fusses la seule à qui je ne le chantasse pas un brin aussi. Je te le dis donc. Et plus je m’en félicite, plus je t’aime, et plus je t’aime, plus je m’en félicite... » Il sait bien que la jeune femme donne à Octave le courage de vivre et écrire loin de Paris, dans le voisinage quotidien d’un malade difficile et despotique. « Entortillez bien les nerfs d’Octave, lui recommande-t-il, de votre douce et tendre bonté. »

Un soir d’hiver (février 1855) il vient de relire Péril en la demeure qui va être prochainement joué à la Comédie-française, qui serait prochainement joué si Octave consentait à une légère modification, et il écrit à son frère :


« Chut ! — Pss — Paris est endormi sous la neige. On n’entend plus rien. Les voitures ne roulent plus : les chevaux glissent et tombent : celles qui roulent, on ne les entend pas. Les hommes ne sortent pas. Ceux qui sortent ne parlent pas : leurs cache-nez les étouffent. Chut ! Paris est endormi sous la neige. Quelle occasion, mon cher Octave, pour dire un secret, un doux secret ! Comprends-tu cela ? Le silence dans Paris ! Je n’ai vu cela qu’en juin 1848. C’est à toi que je veux dire ce secret, dans le silence de Paris, et pour te le dire, je suis venu m’établir tout près du Théâtre-Français, le seul confident que nous puissions avoir : tu as fait un chef-d’œuvre, mon cher Octave.

« Ç’a été mon idée quand j’ai lu ta pièce d’un bouta l’autre. Ç’a été l’idée de tous ceux à qui je l’ai lue ensuite. C’est l’idée de Régnier et de Mme Allan.

« Mais ta lettre, ta dernière lettre, charmante d’ailleurs, est tout simplement absurde du point de vue de tes impatiences, de ton jugement sur les gens qui t’aiment et t admirent par-dessus tout. Tu es donc tout à fait gâté en vérité : jeté l’ai toujours dit. Si tu avais éprouvé échec sur échec, si tu t’étais constamment trompé sur celles de tes œuvres que tu croyais bonnes, si tu n’avais jamais eu un succès, je comprendrais tes doutes, tes inquiétudes et les coups de poignard que tu dois au facteur. Mais rien de tout cela. Autant d’œuvres, autant de succès. Autant