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Chaque soir, l’une ou l’autre des délégations convie les journalistes étrangers à une petite conférence : un délégué ou un expert récapitule les faits delà journée, répond aux questions qu’on lui pose, éclaircit les doutes, réfute les objections. Les Russes excellent à ce petit jeu, qui n’est pas inoffensif. Ne croyez pas qu’ils se résignent à l’isolement de Rapallo. Leur plus fougueux orateur, Rakowski, se rend tous les soirs à l’hôtel de Gênes, pour haranguer les correspondants des journaux bourgeois : c’est ce qu’on nomme ici les seven o’clock des bolchévistes. Italiens et Américains y viennent en nombre. A l’une de ces réunions, nous avons eu l’étonnement d’apprendre qu’il n’y avait jamais eu et qu’il n’y aurait jamais de régime communiste en Russie. Je doute fort que les propos tenus ce soir-là par Rakowski aient été télégraphiés intégralement aux journaux de Moscou.

Les délégués allemands n’apportent pas moins de soin à maintenir le contact avec la presse étrangère : ils l’invitent fréquemment, soit à des conférences, soit à des discussions dites contradictoires. Le directeur du Berliner Tageblatt, M. Théodor Wolff, prête à la délégation une aide efficace. Dans la villa qu’il a louée pour la circonstance près de Santa-Margherita, il organise des thés-conférences ; Mme Wolff fait les honneurs ; le journaliste berlinois, tantôt prend lui-même la parole, tantôt la cède à Schmidt ou à Rathenau. Comment certains correspondants étrangers résisteraient-ils à tant de séductions réunies ?


ALLEMANDS ET RUSSES

Dès le premier jour, on eut ici le sentiment qu’avant de se rendre à notre imprudente invitation et de reprendre leur place dans le concert européen, les Allemands et les Russes avaient accordé leurs instruments. Les Russes n’avaient rien à perdre, les Allemands avaient beaucoup à craindre, et plus encore à gagner. Il était donc naturel que, dans la distribution des rôles, les protestations hardies, les initiatives insolentes fussent confiées aux délégués des soviets.

Au Palais de Saint-Georges, le contraste fut frappant, entre la modération de M. Wirth et l’arrogance de Tchitchérine. Il