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Wordsworth avec sa femme et sa sœur, accompagné aussi de son ami Henry Crabb Robinson, revenait d’un tour sur le continent. Arrivés à Paris le 1er octobre, le poète et sa sœur allaient dès le lendemain matin chez les Baudouin. Il fut convenu qu’on se rencontrerait tous, au Louvre, Annette et Mrs Wordsworth comprises. C’est dans le Musée qu’eut donc lieu la première entrevue de l’ancienne amie et de la femme du poète.

Le thème donné, un romancier psychologue pourrait trouver là matière à un long chapitre. Pourtant il ne semble pas qu’il y ait eu en cette occasion d’émotions vives. L’âge avait amorti les sensibilités et les amours-propres. Nous pouvons être sûrs que le salut qu’échangèrent Mrs Wordsworth et Annette fut simple et cordial, sans amertume. L’ignorance où elles étaient, l’une du français, l’autre de l’anglais, supprimait d’ailleurs pour elles la tâche de la conversation. Tout se passa le mieux du monde. « Nous avons eu grande satisfaction à Paris à voir nos amis dont je vous ai parlé, écrivait Dorothée à Mrs Clarkson le 14 octobre. Je vous en dirai davantage quand nous nous reverrons. »

Après cette visite Annette vécut vingt ans encore, sans qu’aucune trace d’elle apparaisse, hors l’inscription de son nom sur le registre des décès :


L’an mil huit cent quarante un, le dix janvier, est décédée à Paris, boulevard des Filles-du-Calvaire, 11, huitième arrondissement, Marie-Anne Vallon, dite William, employée, âgée de soixante-quinze ans. née à Blois (Loir-et-Cher). Célibataire.


Pauvres mots qui ont leur pathétique pour ceux qui savent ce qu’il tient ici d’émouvantes réalités sous le terme de célibataire, sous celui de dite William, et qui se représentent la petite vie malaisée de « l’employée » de soixante-quinze ans !

Elle devait être enterrée au Père-Lachaise. Sur la pierre on déchiffre encore son nom : Marie-Anne Vallon Williams.

Quelle émotion éprouva Wordsworth à la nouvelle de la mort d’Annette ? Faible sans doute. Il était vieux et se survivait. C’était l’époque où, minutieux et inexact, il dictait des notes séniles sur ses poèmes à miss Fenwick, et parmi ces notes celle de Vaudracour et Julia, qui était comme un effort pour ensevelir dans l’oubli ses amours françaises. C’est aussi l’année où toute la passion subsistante dans son âme prenait la forme égoïste d’une sorte de désespoir à la pensée du mariage imminent