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la vaillante chouanne de Blois. La noce prit l’allure d’une véritable manifestation royaliste.

Malgré l’exiguïté de ses ressources, Annette avait tenu à donner un grand diner où elle avait convié le plus qu’elle avait pu des notabilités de sa connaissance. Elle écrivit à cette occasion une lettre aux Wordsworth où elle se complut à leur dire l’éclat avec lequel avait été mariée la fille du poète. Dorothée en communiquait la substance à Mrs Clarkson le 4 avril .


Les détails que donne la mère des fêtes du mariage vous auraient amusée. Elle a voulu donner une fête, elle qui peut-être pendant la moitié d’une année en ressentira les effets dans chacun des dîners qu’elle se fera cuire ! Trente personnes étaient présentes au dîner, au bal, au souper. Il y avait là les députés de son département et beaucoup d’autres personnes considérables. La mariée était vêtue de taffetas blanc avec un voile blanc. Elle a fait l’admiration de tous ceux qui l’ont vue, mais sa modestie était son plus bel ornement. Elle a gardé son voile toute la journée. Que cela est français !


La légère ironie sans méchanceté de Dorothée est peut-être encore de trop ici. Après tout, Annette était fière, et pourquoi pas ? de dire au poète que la fille dont elle avait seule eu le soin et la charge, que celle à laquelle il avait donné son nom sans le donner à la mère, avait eu une glorieuse noce, effaçant les traces de sa naissance irrégulière. La mère avait tout mis en œuvre, jeté ses derniers écus, pour atteindre à cette sorte d’exaltation de leur fille. Qu’importe qu’elle l’eût fait selon ses idées de petite bourgeoise française ! Le père absent, la bonne tante elle-même qui n’avait pu venir, auraient mieux fait de suspendre ici ce qu’ils avaient de sens de l’humour.

Le contrat, nous le constatons à regret, semble écarter toute idée d’une dotation faite par le père. Mais il est pour une autre raison fort intéressant. C’est là bien plus encore que dans la brillante cérémonie du mariage même, qu’on voit Annette dans toute sa gloire de fidèle royaliste. Autour de cette table vide, de ce contrat sans argent, se sont assis plusieurs des grands du jour pour rendre hommage à la mère pauvre d’une fille sans dot. L’acte est si singulier, la forme en est si exceptionnelle qu’il mériterait d’être donné en entier : la veuve du prince de Beauvau, la femme du duc de Montmorency ; le vicomte de Montmorency et le marquis d’Avaray, tous les deux pairs de France,