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général, c’est qu’une fille en France, à moins qu’elle n’ait de la fortune, n’est traitée avec aucune considération.


Le voyage inquiète Dorothée. Elle voudrait que M. Eustace Baudouin vînt au-devant d’elle jusqu’à Calais, mais craint la dépense qui en résulterait. « Nous voudrions apporter des présents de manufacture anglaise. Est-ce que cela peut se faire sans beaucoup de risques ou de désagréments ? »

Le 31 décembre, elle annonce son voyage pour avril 1815, mais comme elle compte rester en France au moins neuf ou dix semaines, elle a peur des troubles qui sûrement accompagneront la cérémonie du couronnement :


Et puis le voyage occasionnera une grosse dépense que nous pouvons mal nous permettre, et l’argent serait mieux employé à augmenter la dot de ma nièce. Je lui ai écrit dans ce sens. Elle n’a pas voulu consentir à se marier sans moi, et c’est pour cela qu’on a fixé la date d’avril.


Si elle n’avait pas souci de laisser son frère et sa belle-sœur, « elle verrait ce voyage avec satisfaction, que dis-je ? avec joie, pour l’amour de cette chère jeune fille que je crois tout à fait aimable. »

Mais Napoléon revient de l’ile d’Elbe et voilà tous les projets de mariage et de voyage bouleversés. Dès le 16 mars, avant que l’Empereur ait encore atteint Paris, et alors que le succès de sa tentative demeure douteux, Dorothée écrit à Mrs Clarkson :


C’est le sort de mes amis qui me tourmente vraiment. La dame dont je vous ai parlé (Annette) a été dès le début une royaliste ardente, a souvent risqué sa vie pour la défense des partisans de cette cause, et elle méprisait et détestait Bonaparte. La pauvre créature ! Dans la dernière lettre que nous ayons reçue d’elle, elle ne parlait que d’espoir et de contentement ; elle disait que le gouvernement royal gagnait des forces de jour en jour, et que les amis de Bonaparte passaient de l’autre côté. Quelques jours avant la mauvaise nouvelle, elle a dû recevoir ma lettre qui contenait le programme de notre voyage.


Moins d’un mois après, le 11 avril. Napoléon redevenu maître de la France, Dorothée reprenait, disant qu’elle perd le sommeil à la pensée des maux que va déchaîner « la diabolique ambition de l’Empereur : »