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sa prose et ses vers, l’autre en conspirant, contre « l’usurpateur. » L’issue de la longue guerre permettait aussi la reprise d’une correspondance qui n’avait été interrompue que par elle. Le poète ne pouvait penser à la France sans évoquer l’image de son ancienne amie et de leur enfant. Il restait soucieux de leur sécurité, bien que depuis longtemps ses sentiments eussent cessé de se concentrer sur elles. Son ménage anglais avec ses joies et ses deuils absorbe maintenant le meilleur de ses affections. La douce tendresse de Mary allait pénétrant de plus en plus avant dans son cœur. Vraiment il avait fait le bon choix. Elle n’avait sans doute aucune des brillantes qualités que le monde admire et qui fixent d’abord les regards. Mais, à présent qu’il voyait « les pulsations mêmes de son être, » il connaissait tout son prix. Elle possédait la beauté vraie, celle de l’âme qui ne se découvre qu’à des yeux aimants.

Mary efface Annette. Les cinq enfants qu’elle donne au poète sous l’Empire, ces enfants qui grandissent sous ses yeux, dont il goûte les caresses, par lesquels il connaît aussi le déchirement, car il en voit deux mourir en 1812, rendent lointaine et indistincte la fille aînée, Caroline, toujours absente.

Est-ce indifférence, respect des convenances ou simple paresse à écrire ? Il relâche le seul lien qui l’unisse encore à sa fille française et à la mère de Caroline. Il ne leur écrit plus directement. Quand la correspondance reprend, ce n’est plus lui qui tient la plume, c’est sa sœur Dorothée. C’est elle qui, avec son peu de français, répond aux missives d’Annette. Si Wordsworth accomplit, quand les circonstances le réclament, son rôle de père, Dorothée éprouve et manifeste de véritables sentiments de famille pour Caroline, « sa nièce, » comme elle dit avec tendresse.

Ni ses lettres ni celles d’Annette ne nous sont parvenues, mais nous en avons un écho dans la correspondance de Dorothée avec son amie Mrs Clarkson, femme de l’anti-esclavagiste, qui nous a été révélée par M. Harper.

Nous y apprenons qu’un jeune officier français nommé Baudouin a visité les Wordsworth à Rydal Mount. Celui dont il est parlé est un prisonnier de guerre libéré par la paix récente. Eustace Baudouin, frère d’un colonel de l’Empire, avait été mis à Saint-Cyr et de là envoyé en Espagne à dix-neuf ans comme sous-lieutenant. Il avait à peine eu le temps de se distinguer par