Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/188

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il en pouvait juger, et qu’il devait se disposer à me perdre un peu plus tard s’il continuait à m’occuper ainsi. Mon père fut anéanti. Cette déclaration détruisait tous ses projets, mais il m’aimait trop pour me sacrifier.

Pendant ma convalescence qui fut très longue, votre père (c’est-à-dire Paul Vallon ; elle écrit pour ses enfants) sortit des prisons de Sainte Pélagie où il avait été détenu depuis son retour des pays étrangers. Une chétive succession l’appelait à Saint-Dyé ; il y vint. Ses parents demeuraient à Blois et l’une de ses sœurs l’accompagna. La réputation de mon père était fameuse. La sœur avait une opinion qu’on disait fort bonne et, bien qu’elle ne nous connût pas, elle présenta son frère : les victimes de la Révolution se racontèrent réciproquement leurs malheurs et furent bientôt liées.

Votre père fit au mien la confidence qu’il était sous la surveillance de la haute police et qu’il ne pouvait séjourner nulle part sans une permission spéciale. C’était braver les tyrans que de tenter la désobéissance.

Sa sœur avait entendu parler de la cause présumée de ma maladie. Son père avait travaillé quinze ans comme premier clerc à Orléans, et il était plein de talents. Elle proposa une alliance à mon père. Encore étourdi du coup que lui avait porté M. Chambon, circonvenu par la sœur qui ne lui laissait pas le temps de respirer et qui lui présentait toujours cette alliance royaliste comme digne de lui, mon père, qui avait intérieurement juré de ne jamais me marier, se décida. Dans son esprit, il n’était pas besoin de l’assentiment de sa fille : on régla tout et on me présenta votre père, avant que je fusse même convalescente, comme celui qui bientôt serait mon mari. J’avais peu de forces morales à cet instant et point de forces physiques, car je me souviens que je ne pus me lever d’une grande bergère pour recevoir le frère et la sœur. J’accédai à tout avec un sentiment de joie.

Trois semaines après, j’épousai votre père...


Que ce soit Annette, la sœur de Paul désignée dans les Mémoires, est infiniment probable, bien qu’on n’en puisse donner la certitude : son étroite intimité avec Paul, sa situation plus accusée comme militante que celle de ses sœurs, tout l’indique. Et certes, elle fit preuve dans la circonstance d’un génie qui rappelle celui de son ennemi Bonaparte. Comme lui elle sut préparer son offensive avec une rapidité merveilleuse et remporter une victoire foudroyante. Mais victoire qui était pour le bien et le bonheur des deux parties. Grâce à elle, Marie-Catherine Puzéla allait être tirée de sa maladie réputée mortelle. Quant à Paul qui était à la dérive, si l’on trouve qu’après ses défaillances