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jolie femme comme elle pour confidente de pareilles horreurs. » « Prenant ici un air de modestie, elle me confessa avec peine (dit-elle), qu’elle devait à ses faibles attraits d’être initiée dans ces infâmes mystères. » Ses attraits avaient mis en rivalité deux personnages marquants dans cette affaire qui par haine s’étaient entre-trahis. Or donc, les Anglais ont mis à prix la tête de Bonaparte pour trente mille guinées et une pension. Comme Mackenem en doute, elle offre de lui faire voir son voisin de chambre, le colonel Spenser, un des conjurés. Et en effet, comme sur un coup de baguette magique, le dit colonel apparaît. Suit une conversation en anglais de la dame avec lui, dont Mackenem ne comprend pas un traître mot, non plus que Spenser ne la comprend quand elle par le français avec Mackenem. Elle peut répéter à chacun ce qui lui plait. Tout le temps elle se donne à Mackenem (dont elle semble avoir éventé le rôle) pour une bonne patriote qui veut du bien à Bonaparte.

Mackenem continuera de la filer. Il essaiera de la rejoindre aux eaux de Pyrmont, dans la principauté de Waldeck, et il enverra de Hanovre un bien amusant rapport au général Moncey, grand inspecteur général de la gendarmerie, à la date du 13 août.

Avant d’atteindre Pyrmont, il a appris que Mme de Bonneuil venait de prendre congé publiquement de la société de cette ville d’eaux dans un bal que donnait le prince de Brunswick. Elle avait tenu tout particulièrement à faire ses adieux à l’électrice de Bavière avant d’aller, disait-elle, à Gotha. Il n’y avait pas un instant à perdre. Mackenem présente au prince de Waldeck la lettre qui l’accrédite et lui demande d’expulser cette aventurière « aussi vile que sa naissance, qui pousse l’impudence jusqu’à se faire présenter dans la société où elle ne peut se maintenir qu’à force de mensonge et de fourberie. »


« Ah ! (me dit le prince) dans un lieu public comme les eaux de Pyrmont, lorsqu’on y voit une femme, on ne demande pas qui elle est ni d’où elle vient, mais seulement si elle est jeune et jolie. » — « Pour jolie, répliquai-je, il est possible qu’on la trouve telle, mais pour jeune, il y a bien vingt ans à ma connaissance qu’elle fait le métier de courtisane très active et d’intrigante très dangereuse. » — « Ah ! me dit son Altesse, elle a tout au plus trente-cinq ans. » — « En admettant cette supposition, lui dis-je, votre Altesse qui est militaire doit savoir que pour un soldat les années de campagne comptent