Page:Revue des Deux Mondes - 1922 - tome 9.djvu/183

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fameux dont les noms donnaient du prestige à ses récits. On y voyait défiler entre beaucoup d’autres M. de Bellegarde, « vrai bourreau d’argent avec les femmes, » qu’elle avait connu à Versailles sous l’ancien régime ; plus récemment, à Madrid, l’ambassadeur français M. de Pérignon, M. de Villequier, l’agent des Bourbons, et Godoï, le Prince de la Paix, dont elle avait été simultanément l’amie. Elle montrait volontiers des lettres de Godoï ; elle en exhibait aussi du feu prince Louis de Prusse.

Elle était jolie et savait l’art de préserver sa beauté des injures du temps, au point de se rajeunir impudemment d’une vingtaine d’années. Douée du génie de l’intrigue, elle s’enveloppait si bien de prétextes et d’explications, elle excellait tant à embrouiller les cartes, que même la merveilleuse police du Consulat ne parait pas avoir vu très clair dans son jeu.

Paul fit sa connaissance chez Maugus, logeur, place du Martroi, lequel tenait une société littéraire où on lisait les journaux publics et qu’on appelait « Cracovie. » Il vécut avec elle jusqu’au jour où elle l’abandonna pour d’autres conquêtes. Mais cette période de dissipation lui rendit pénible le travail régulier et la vie d’Orléans déplaisante. Soit que Me Courtois ne fût plus content de ses services, soit qu’il fût attiré par la grande ville, il quittait en 1800 Orléans pour Paris. Là il traversait plusieurs situations sans s’arrêter dans aucune, faisant entre autres choses un séjour de trois mois chez M. de Lasteyrie, le célèbre agronome, qui était alors en train d’écrire sur les bêtes à laine d’Espagne. Finalement, il travaillait chez Me Thierry, notaire à Melun, lorsque, pendant un petit voyage qu’il fit à Paris, il se retrouva en présence de Mme de Bonneuil. L’ancienne flamme se ralluma sur le champ. Elle allait, lui dit-elle, en Espagne avec quarante mille francs de marchandises, dentelles et perles fausses. Elle lui proposa de l’emmener comme son commis ou secrétaire. Il y consentit. Telle est du moins la version de son aventure que Paul devait conter à la police, mais il est probable que derrière ces trafics se cachait une intrigue bourbonienne.

Les voici qui partent pour l’Espagne d’abord où ils restent de mars jusqu’en août 1802, c’est-à-dire jusqu’au mois que Wordsworth et Annette passèrent ensemble à Calais. Dès le début, ce sont de bizarres vicissitudes. Elle vend des dentelles. Elle essaie de nouveau l’effet de ses charmes sur le Prince