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passion sensuelle et exaltée. Hélas ! Annette était maintenant une femme de trente-six ans, sans doute vieillie par les anxiétés et les épreuves. Lui, au contraire, était un homme jeune encore et préservé par un amour nouveau ; il ne pouvait plus avoir pour elle qu’un reste de tendresse fait de gratitude pour le passé, de pitié pour le présent.

Calmés et assagis l’un et l’autre par les années, ils étaient du reste sans doute d’accord pour rejeter l’idée d’une union définitive. Les circonstances longtemps maudites avaient en somme été décisives en les tenant séparés. Les dix ans qu’ils avaient vécus loin l’un de l’autre avaient creusé un infranchissable fossé entre leurs goûts et leurs habitudes. Ou plutôt ils avaient mis en évidence la différence essentielle de leurs natures. Non moins que William, Annette sentait à présent l’impossibilité de la vie commune. Elle se fût désolée de quitter ses amis de Blois auxquels elle était liée par les liens de la foi et du péril. Elle aurait eu l’effroi de l’ile inconnue où se parlait un langage qu’elle n’entendait pas ; où (à en juger par William et Dorothée, malgré toutes leurs marques d’amitié) les habitants avaient des façons de voir et de sentir, des émotions et des jouissances qui n’étaient pas les siennes.

Tous les deux confirmèrent leur séparation en se séparant avec un regard amical et de bonnes pensées l’un pour l’autre. A vrai dire, cette équanimité n’était possible que parce que la passion était morte. Il ne subsistait que le souvenir d’un passé qui semble être chez eux resté exempt de poignants regrets. Tout s’acheva sans un froissement, avec une sorte de douceur voilée d’une ombre de tristesse. Nous lisons dans le journal de Dorothée, à la date du 29 août, jour du retour des Wordsworth à Douvres : « Nous tournâmes nos regards vers la France (du haut des falaises) avec mainte pensée mélancolique et tendre. »

Quel arrangement avait été conclu entre Wordsworth et Annette, nous l’ignorons. Nous ne savons quelles dispositions il prit pour aider la mère de son enfant, ni avec quelles propositions il était venu. Il se peut que Wordsworth, inquiet pour Caroline de l’humeur militante d’Annette, ait offert de se charger de sa fille, après entente avec Mary Hutchinson, très capable, en sa bonté exempte de jalousie, de lui servir de mère. Mais ni Annette, ni Caroline, qui étaient tout l’une pour l’autre,