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Amours de Philippe. Cette jeune fille gaie, vaillante, qui n’a pas peur de la vie, qui la regarde bien en face, même si elle doit se mesurer avec la passion et toutes les tentations coupables, n’est pas sans ressembler à cette charmante et rieuse Valérie Dubois qui devait plus tard évoquer avec tant de gentillesse et de bonne humeur son enfance et sa jeunesse dans son livre de souvenirs. Elle avait dix ou onze ans de moins que lui : il l’avait vue toute petite fille dans cette maison ensoleillée de la ville haute, sur la place des Beaux-Regards, d’où l’on découvre un horizon de bois, de verdure et d’eau. Qui sait ? peut-être lui apparaissait-elle de loin, quand il menait à Paris sa vie aventureuse, comme son bonheur futur. Et cependant il allait commencer par lui imposer, à elle aussi, un sacrifice. Car, pour cette enfant de dix-neuf ans, épouser Octave Feuillet, déjà connu, auteur dramatique joué, sinon réputé, collaborateur de la Revue des Deux Mondes, c’était mener la vie de Paris, — les restaurants, les théâtres, le monde. Son imagination d’enfant brodait là-dessus. Or, il lui annonça qu’ils s’installeraient à Saint-Lô, dans le triste hôtel de la rue Torteron, auprès d’un malade. Elle l’aimait, elle accepta. Quant à croire que ce fut sans regret, elle ne le dit pas, ou plutôt elle le dit en riant. Mme Octave Feuillet a toujours goûté la vie de société : on le voit bien dans ses Mémoires : elle prenait plus de plaisir aux fêtes impériales des Tuileries, de Compiègne et de Fontainebleau que son mari, toujours un peu amoureux de solitude. Car ce grand peintre du monde n’aimait le monde qu’en passant, juste le temps d’y prendre ses modèles.

La vie, rue Torteron, ne fut pas très gaie. Ou plutôt, la jeunesse de Valérie en fit toute la joie. La jeunesse de Valérie, et le travail, et aussi la naissance d’un petit André, puis d’un petit Jacques. Jamais Octave ne travailla mieux. Il y oubliait l’éloignement de Paris. Et il lisait ses ouvrages, à peine achevés, à sa femme et à sa romanesque belle-mère, dans son cabinet écarté et matelassé. Parfois les lectures étaient troublées par les appels exigeants du malade.

Avait-il renoncé à faire jouer les comédies et proverbes qu’il envoyait à la Revue ? Quand un auteur dramatique renonça-t-il à être joué ? Il avait les yeux sans cesse tournés vers Paris. Mais il avait la chance d’y voir son double.

Son frère aîné, Eugène, resté sur place, l’y remplaçait, et