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XIV

Quoique nous en distinguions assez bien les raisons, il reste singulier ce mois d’août passé à Calais près d’Annette. Leur correspondance avait repris dès les préliminaires de paix ; Wordsworth allait vers elle dès que le traité d’Amiens lui rouvrait la France. Cet empressement pouvait bien donner à croire que sa passion était toujours vivante. Sans doute, en emmenant sa sœur, William signifiait qu’il ne s’agissait pas d’une reprise des amours irrégulières. La présence de Dorothée le chaperonnait, si l’on peut dire. Mais quatre semaines pour consacrer la rupture de deux amants, c’est chose peu ordinaire, surtout si l’on songe que pendant ce temps Mary attendait son fiancé.

Tout semble s’être passé de façon simple et cordiale, sans transports ni éclats. Dans le journal de la visite qu’elle rédigea dès son retour à Grasmere, Dorothée écrit :


Nous trouvâmes Annette et Caroline chez Mme Avril, dans la rue de la Tête-d’Or... Presque tous les soirs nous nous promenâmes avec elles sur le bord de la mer, ou William et moi, seuls... Il est un soir que je n’oublierai jamais : la journée avait été très chaude, et William et moi nous nous promenâmes seuls sur la jetée...


Seuls, c’est-à-dire sans Annette, car Dorothée ajoute : « Caroline était ravie. »

C’est à cette occasion que Wordsworth composa son beau sonnet : « It is a beauteous evening calm and free, » le seul de ses poèmes où figure sa fille française :


C’est un magnifique soir, calme et heureux.
L’heure sainte est paisible comme une nonne
Éperdue d’adoration ; le grand soleil
Se cache dans la tranquillité ;
La douceur du ciel plane sur la mer :
Ecoute ! la puissante créature est éveillée
Et avec son mouvement sans fin fait
Un bruit pareil au tonnerre — éternellement !
Chère enfant ! chère fille qui te promènes ici avec moi.
Si tu ne parais pas touchée de pensée solennelle,
Ta nature n’en est pas pour cela moins divine ;
Tu reposes dans le sein d’Abraham toute l’année
Et tu adores dans le sanctuaire intérieur du Temple,
Dieu étant avec toi quand nous ne le savons pas